Assister à la naissance de la vie

Pour clore le 2017, la Maison de la danse choisit un savant mix de nature et musique en deux temps avec la précieuse invitation à Alonzo King. Le roi des chorégraphes de la côte Ouest présente Biophony et Sand, deux pièces récentes, deux rêves dansants qui captivent et émerveillent

Jusqu’au 22 décembre, la Maison de la danse de Lyon accueille deux pièces d’un des plus grands génies de cet art, le chorégraphe américain Alonzo King. Deux morceaux de vie, deux univers qui se déploient sous nos yeux comme des gestes uniques, fluides, sans que les phénomènes de diastoles (interruptions, reculements, reprises) puissent intervenir dans l’esthétique de l’œuvre.

Biophony, présenté en ouverture de soirée est, sans aucun doute, un chef-d’œuvre de cet art, largement suffisant pour nourrir les âmes et les regards des spectateurs. Un rêve visuel d’une durée de 41 minutes qui transfigure tout zoomorphisme et phytomorphisme dans une célébration musicale de la vie : biophony, justement. Une ode à la nature et à ses rythmes à travers une composition puissante comme du Stravinsky et légère comme du Grieg. Les corps des danseurs sont les éléments simples d’un travail complexe, les formes et les voix d’une organisation parfaitement fonctionnante. Les enchainements réussissent naturellement, comme dans la plus parfaite des machines. Nous sommes loin de l’imitation, de la parodie et du déguisement. Avec Biophony nous sommes plongés dans une natura naturans, nous assistons à l’événement d’une nature en formation, réalisant le rêve de tout scientifique : naissance et non pas vitrine. Le travail exceptionnel des jeux de lumières d’Axel Morgenthaler est fondamental dans la tâche d’émersion des corps du fond noir, comme une éruption de sens tridimensionnelle qui participe à la naissance de la vie. Ici nous nous ne promenons pas dans un zoo. Biophony est un travail de l’ordre de l’apparition miraculeuse, du sombre précurseur deleuzien.

Sand, travail de 2016, jouit de la force débordante de Biophony, et elle se laisse porter par l’inertie du travail précèdent. Le passage de la musique naturelle (profondément « classique ») au jazz, permet à la pièce de ne pas se retrouver sans force propre et de retravailler les corps grâce à l’intuition musicale. Collaboration avec le jazzistes américains Jason Moran et Charles Lloyd, Sand conçoit des êtres éphébiques que l’on peut caresser sans qu’on puisse les saisir. Exactement comme le sable. Matière dure et libre, légère et fuyante, le sable danse sur la scène de la Maison de la danse avec élégance et intensité. Mais, comme dit Alonzo King, « un grain de sable peut vous aveugler temporairement » et c’est ce qu’il nous est arrivé en assistant à cette première lyonnaise. Les yeux se sont refermés comme par nécessité, la musique a continué à nous emporter et, libérés de notre regard, les corps ont assumé une liberté totale, suivant les formes libre du free jazz. Et c’est à ce moment précis que nous avons ressenti leur présence, vivante, vraie, corporelle et insaisissable, à travers l’invisible qui complète ce l’on voit. Oui, le pouvoir de la danse devance le visible.

Spectacle vu le 13 décembre 2017

Le spectacle a eu lieu :
Maison de la Danse
8 avenue Jean Mermoz – Lyon
mercredi 13 et 20 décembre 2017 à 19h30, jeudi 14 et 21, vendredi 15 et 22, samedi 16 et mardi 19 décembre à 20h30, dimanche 17 décembre à 17h00

La Maison de la danse présente
Biophony/Sand
Cie Alonzo King Lines Ballet

Biophony
création 2015
pour 12 danseurs
chorégraphie Alonzo King
musique et environnement sonore Bernie Krause, Richard Blackford
lumières Axel Morgenthaler
costumes Robert Rosenwasser

Sand
création 2016
pour 12 danseurs
chorégraphie Alonzo King
musique Charles Lloyd et Jason Moran
lumières Axel Morgenthaler
décors Christopher Haas
costumes Robert Rosenwasser

durée 1h50 avec entracte

www.maisondeladanse.com
www.linesballet.org