Saisir l’intemporalité dans la chair de la musique

Non pas une musique nue mais la musique mise à nu : Rosemary Standley et Dom La Nena ont repris la route des concerts pour parsemer la France d’instants de bonheur musical avec leur projet Bird on Wire et le rendez-vous à la chapelle de la Trinité de Lyon a confirmé la splendeur de cette entreprise

Une scène dépouillée de tout ornement afin de proposer une musique dans sa nudité et sans filtres. Rosemary Standley et Dom La Nena retrouvent Lyon et la Chapelle de la Trinité grâce aux Grands Concerts et à Rain Dog Productions. Parmi les nombreux projets de l’ex-chanteuse de Moriarty, Birds on a Wire est celui qui nous touche plus profondément et l’occasion de plonger dans cet univers musical s’est présentée le 4 février dernier avec un concert dominical aux saveurs anciennes et des quatre coins du monde.

La violoncelliste brésilienne Dom La Nena prend place sur scène rejointe peu après par Rosemary. Calme, quelques traits de lumière. Sur les notes du traditionnel catalan El cant dels ocells, l’ouverture est caravagesque. Suit I shall be relesed, composition de Bob Dylan universellement connue grâce à The Band. La chanteuse franco-américaine sait créer une crase temporelle inédite à travers une voix qui sculpte le temps. S’ensuit la Passacaglia della Vita de Stefano Landi et la réitération de l’avertissement « Bisogna morire » est interprétée par la Standley comme une véritable ouverture de lumière (toujours caravagesque !), faisceau lumineux où le divin entre en communication avec le mondain : renversement sémantique parfaitement réussi. Si Dom La Nena ne se limite pas à accompagner le chant mais chante et dessine un paysage tant essentiel que fascinant avec son violoncelle, Rosemary reste olympique, adamantine, nullement affectée par ce qui l’entoure. Elle semble se transfigurer en déesse trans-temporelle.

Le doux hommage à Jacques Brel (Sur la place) précède celui à la chanson italienne des années 60 et à Gino Paoli (malheureusement inconnu des auditeurs de la soirée) avec La gatta. La diction de Rosemary se dépose sur la langue italienne avec une fascinante étrangeté, sans l’entourer complètement mais en exhibant les aspérités qui rendent pleinement le côté ludique de cette performance. Le voyage à travers le temps est aussi un voyage à travers le monde. Voici que nous nous retrouvons quelque part entre la Venezuela et la Colombie, avec le chant traditionnel Duerme negrito et son avertissement « Y si el negro no se duerme/Viene el diablo blanco » avant d’aller à la rencontre de celui qui est la matière vivante de ce duo : Leonard Cohen. L’interprétation de Who by Fire nous replonge dans l’obscurité que le triptyque précédent avait éloignée. Les berceaux de Gabriel Fauré et Tonada de Luna Llena de Simón Díaz effleurent deux sentiments mélancoliques différents, celui des mères berçants des enfants qui ne connaitront jamais leurs pères et celui d’un amoureux à la lune.

Une petite brise envoutante de nostalgie nous possède avec la déclaration d’amour du duo envers Nazaré Pereira avec La marelle (Amarelinha) tandis qu’avec Cat Stevens (The wind) on redécouvre le jeu et la légèreté grâce au solo de calculatrice de Rosemary. La suivante Shake Sugaree d’Elizabeth Cotten augmente le degré ludique (avec Dom qui passe l’aspirateur sur scène et parmi le public) et cet état de légèreté se poursuit avec Filhos de Gandhi de Gilberto Gil & Jorge Ben où le public n’hésite pas à participer à cette joie inattendue.

La délicieuse Blessed Is The Memory de Leonard Cohen (tirée du premier album mais dont la récente vidéo a lancé la nouvelle tournée de Birds on a Wire et qui sera couronnée l’année prochaine par la publication du deuxième album) ouvre la dernière partie du concert et c’est à ce moment que nous avons l’agnition que Rosemary Standley peut interpréter toute chanson, de toute époque et de tout format. Mais cela n’est sûrement pas dû à sa remarquables capacité de se sentir à l’aise dans toute situation. Ce qui fait d’elle un être extraordinaire revient au don de saisir l’intemporalité qui se trouve au fond de la musique, dans sa chair, l’absolu de l’insaisissable.

C’est pour cela que Wish You Were Here n’est plus la chanson de Pink Floyd, mais un autre morceau provenant d’une autre époque. Qué He Sacado Con Quererte de l’extraordinaire artiste chilienne Violeta Parra clore le concert avec son mantra infini. Les artistes quittent la scène, s’éloignent avant de disparaitre derrière les rideaux. La musique s’estompe graduellement, devient filante. Puis, plus rien. C’est fini. Il ne reste plus qu’un écho qui se répand sourdement. Il faut un applaudissement pour nous réanimer et briser le rêve.

Les yeux ouverts, nous pouvons assister à quelques encore, d’abord avec Oh My Love, une des plus belles chansons de John Lennon (et, au passage, l’une des plus belles et délicates déclarations d’amour de l’histoire) suivie par la petite comptine russe Antoshka. Le deuxième rappel devient l’occasion pour une danse collective (du jamais vu à la chapelle !) avec Sega Jacquot du réunionnais Luc Donat qui conclut une soirée parfaite.

Le concert a eu lieu :
Chapelle de la Trinité
29-31 rue de la Bourse – Lyon
dimanche 4 février 2018 à 15h

La Familia, en accord avec Madamelune et en co-réalisation avec Les Grands Concerts et Rain dog productions ont présenté
Birds on a wire

avec
Rosemary Standley voix
Dom La Nena violoncelle et voix

Set
El cant dels ocells (trad)
I Shall Be Released (Bob Dylan, The Band)
Passacaglia della Vita (Stefano Landi)
Sur la place (Jacques Brel)
La gatta (Gino Paoli)
Duerme Negrito (trad)
Who by fire (Leonard Cohen)
Les berceaux (Gabriel Fauré)
Tonada de Luna Llena (Simone Diaz)
La marelle (Amarelinha) (Nazaré Pereira)
The wind (Cat Stevens)
Shake Sugaree (Elizabeth Cotten and Brenda Evans)
Filhos de Gandhi (Gilberto Gil & Jorge Ben)
Blessed Is The Memory (Leonard Cohen)
Wish You Were Here (Pink Floyd)
Qué He Sacado Con Quererte (Violeta Parra)

Encore I
Oh My Love (John Lennon)
Antoshka (Vladimir Chaïnski)

Encore II
Sega Jacquot (Luc Donat)

www.lesgrandsconcerts.com
www.raindogprod.com
madamelune.com