L’intransigeance de la beauté

Les Grands Concerts ont choisi de clore la saison 2016-2017 à la Chapelle de la Trinité de Lyon avec un récital mémorable, une rencontre entre deux des plus belles voix que notre contemporanéité puisse nous offrir. Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky ont magnifié des extraits d’opéra du Seicento peignant une nuit baroque qui demeurera longtemps dans la mémoire du chanceux public.

Elle a manqué à la ville de Lyon depuis trente ans. Et son retour a été mémorable. Cecilia Bartoli a enchanté le public de la Chapelle de la Trinité dans un duo avec l’extraordinaire alto Philippe Jaroussky. Deux voix célestielles qui se sont cherchées, effleurées, courtisées et, enfin, aimées d’un amour profond et sincère, qui défie toute morale. Si, en ouverture de concert, le directeur artistique des Grands Concerts, Eric Desnoues, a voulu rappeler les liens importants existants entre la chapelle et l’Italie (la première République Italienne vit la lumière ici avec la déclaration du 26 janvier 1802), le concert qui s’est suivi a été une démonstration d’amour sans faille envers la culture transalpine. Inauguré par la ponctuelle Toccata de L’Orfeo de Monteverdi, le récital s’est poursuivi avec le prologo consacré à la personnification de la Musique, interprété à tour de rôle, par les deux chanteurs. Déclaration d’intention, la Musica est ici une muse aux deux corps mais à une seule voix.

La soirée a proposé de nombreux extraits d’opéra, de scherzi musicali, et d’airs de Monteverdi et de Francesco Cavalli, du religieux Agostino Steffani et du peu connu Giovanni Legrenzi, dans une volonté d’élévation sentimentale qui a traversé tous les états d’âme. Quel sguardo sdegnosetto s’est terminé sur un exquis colorato de la Bartoli tandis que le suivant Ombra mai fu de Cavalli fût une interprétation à couper le souffle donnée par la voix enchantée de Jaroussky. Le chant de la reine Niobe a représenté un attentat à la fixité de l’existant puisqu’il fait trembler les règles mondaines pour en extraire l’essence pure et envoûtante de l’amour. Et l’Eliogabalo de Jaroussky était souffrance et inquiétude, dernier cri lancé au monde et à l’être aimé. Puis on arrive à l’Erismena de Cavalli et à ce moment de rupture existentielle. Jaroussky incombe sur le mot penarre d’où se cristallise tout le périple de la lamentation : le chanteur ne se limite pas à l’interprétation de son rôle, mais il fait vivre la réalité, la véritable signification intrinsèque cachée par l’écran des mots. L’exigence de la beauté n’oublie pas une certaine liberté de l’interprétation qui s’exprime à travers une mimique et une gestualité légères. Dans le Xerse de Cavalli la voix masculine active un profond tremblement qui atteint la terre et les sons, et nous percevons les mots comme traversés par des secousses d’insécurité et de fugacité temporelle tandis que dans le Tassilone di Steffani, cette agitation est nettement de signe guerrier. Le concert se termine sur le Zefiro torna e di soavi accenti de Monteverdi, une longue course amoureuse entre les voix qui se suivent, les violons qui osent s’interposer à celles-ci, accompagnés par la théorbe et la harpe qui agissent en contrepoint, la guitare et le clavecin qui montrent la structure de l’harmonie et la flûte qui se permet quelques petites folies. Les deux rappels (obligés à cause d’une émouvante standing ovation) ont proposé « le plus beau duo de l’histoire », le Pur ti miro, pur ti godo qui termine L’Orfeo, et Al fonte, al prato de Giulio Caccini, accompagnés par un salterello final de deux chanteurs, la meilleure conclusion possible pour cette intense saison de musique baroque.

Le concert a eu lieu :
Chapelle de la Trinité

29-31 rue de la Bourse – Lyon
dimanche 18 juin 2017 à 21h

Les Grands Concerts, en coréalisation avec Les Concerts Parisiens, ont présenté
Idolo mio. Musique baroque italienne, airs et duos

Cecilia Bartoli mezzo-soprano
Philippe Jaroussky contre-ténor
Ensemble Artaserse

www.lesgrandsconcerts.com