Avec Happy birthday Philip Glass, les pianistes Katia et Marielle Labèque et le Quatuor Debussy ont rendu hommage au génie américain. Sans aucun doute, la meilleure façon de souhaiter un bon anniversaire au révolutionnaire compositeur de Baltimore

La musique de Philip Glass fait partie intégrante de la culture du XXème siècle, culture qu’il a eu le mérite et le courage de bouleverser, la transformant grâce à un savant et étonnant mélange de science, mystique et poésie. Et c’est pour rendre hommage à cet homme et à sa portée révolutionnaire que Les Grands Concerts et Rain Dog Productions ont choisi de lui consacrer une soirée exceptionnelle dans le chef-d’œuvre baroque lyonnais de la Chapelle de la Trinité. Pour ce rendez-vous, les deux structures ont remis la lourde tâche aux pianistes Katia et Marielle Labèque et au Quatuor Debussy, créant ainsi les bases pour une rencontre mémorable.

La soirée s’est ouverte avec String Quartet n°3, extrait de la bande originale du film Mishima et, soudain, les vagues sonores sont apparues incessantes, puissantes, débordantes, caractère stylistique distinctif de l’univers glassien. Un mur épais, mais loin d’être imperméable ou répulsif. Cette musique absorbe tout auditeur en son intérieur. Il n’est pas question de chair ici, mais de corps : c’est notre corps qui sombre dans ce monde d’imbrication esthétique comme par nécessité. Il ne s’agit pas d’une simple fascination mais d’un questionnement éminemment vital. Les quatre mouvements sont une véritable cascade de sons et, si à une analyse purement superficielle, nous aurions l’impression qu’il s’agisse d’une emprise inquiétante et asphyxiante, notre corps se rend compte, assez rapidement, qu’ici il est plutôt question d’infini. La musique de Philip Glass possède justement ce caractère d’infini, de quelque chose qui pourrait ne jamais s’arrêter et, même quand elle cesse, quand elle parvient à un point, il ne s’agit jamais d’un point final. Cela est la déclaration de la liberté de ce caractère d’infini, son oxymore résolu et privé de tout pouvoir. C’est sa puissance qui lui permet de ne pas s’arrêter, de continuer, de résonner dans les oreilles des auditeurs, comme par nécessité physique.

Le court Tissue #6, arrangé ce soir pour violoncelle et piano, élève le concert à un degré de mélancolie sublime. Ici Cédric Conchon fait murmurer son instrument afin de montrer l’émouvante rencontre entre les grandeurs de l’épique et ce qui reste d’irréductible chez l’humain tandis que Katia Lebèque, dans les suivants Poets Acts, insiste sur le caractère incombant, mais jamais étouffant, de la composition de Glass.

Nous arrivons ainsi au cœur du programme, le centre pulsant d’une soirée exceptionnelle : les Four Movements for Two Pianos. Devenus une des pièces maîtresses du duo, les quatre mouvements agissent comme une brèche de lumière à l’intérieur de la soirée. Apogée de l’interprétation des deux pianistes, ces morceaux montrent une palette de rythmes et de couleurs très riche, où après toute virulence nous retrouvons la légèreté envoûtante des compositions des dernières 25 années d’activité de l’américain : tout débordement apparent est règlementé scientifiquement à travers la mystique. Et c’est ainsi que Glass atteint les summums de la tension musicale, comme dans le final de ce Four Movements.

Katia et Marielle sont rejointes par le Quatuor Debussy pour les deux derniers morceaux de la soirée. Evening Song, conclusion du troisième acte de l’opéra Satyagraha (qui relate les jeunes années de Mahatma Gandhi) est d’une grande intensité et cette musique semble avoir été composée pour hanter les rêves afin de les rendre réalisables. Le caractère onirique de la composition trouve son moment de grâce dans l’intervention de l’alto de Vincent Deprecq, son qui remplace ici la voix du ténor et qui représente l’accroche du rêve dans la réalité, la dimension politique de la non-violence dans un engagement profondément esthét(h)ique.

Et nous arrivons ainsi au dernier moment de la soirée, le 3ème mouvement du Double Concerto pour deux pianos et orchestre du 2015 donné dans un arrangement conçu spécialement pour cette occasion. L’écoute de ce court morceaux suffirait pour comprendre le lien profond et nécessaire entre la musique de Glass et l’interprétation des sœurs Lebèque, ici encore enlacées plus que jamais (et il n’est pas étonnant de découvrir que le Concerto fût écrit expressément pour les deux pianistes).

Célébration, hommage, réflexion autour et dans la musique du Maestro américain, le concert de ce soir représente, sans aucun doute, un des moments plus intenses de la programmation lyonnaise de cette fin d’année.

Happy birthday, Mister Glass. Et cento di questi giorni.

Le concert a eu lieu :
Chapelle de la Trinité

29-31 rue de la Bourse – Lyon
jeudi 9 novembre 2017 à 20h

Les Grands Concerts et Rain Dog Production ont présenté
Happy Birthday Philip Glass
Katia & Marielle Labèque pianos
Quatuor Debussy violons, alto et violoncelle

Programme complet
String Quartet n°3 (de Mishima)
Tissue #6 (de Naqoyqatsi)
The Poet Acts (de The Hours)
Four Movements for Two Pianos
Evening Song (de Satyagraha – Arrangé pour deux pianos et Quatuor par Nico Muhly)
3ème Mouvement du Concerto For Two Pianos (arrangé pour deux pianos et quatuor par Michael Riesman)

Encore
Tissue #6 (de Naqoyqatsi)

durée 1h20

www.lesgrandsconcerts.com
www.raindogprod.com
culturebox.francetvinfo.fr