Le geste ultime d’un secret littéraire

LogoJusqu’à samedi 20 janvier, la petite salle du théâtre La Renaissance d’Oullins sera l’antre de Hanta, le protagoniste du chef-d’œuvre de Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude. Thierry Gibault incarne parfaitement cette fable triste qui reste un des diamants de la production littéraire du XXe siècle

Nous avons été conquis par l’adaptation de Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal en ce moment au Théâtre La Renaissance d’Oullins dans la (minimale) mise en scène de Laurent Fréchuret et avec Thierry Gibault dans le rôle du presseur Hanta. Mais plus qu’une adaptation, il s’agit d’une véritable incarnation du chef-d’œuvre de l’écrivain tchèque. Gibault n’interprète pas seulement Hanta : il est Hanta. Et cette incarnation se tient sur un fil, délicat et presque invisible, qui affecte profondément le spectateur inerme et réduit à une stase totale.

Laurent Fréchuret l’exprime très bien dans la note d’intention diffusée lors du spectacle : « La force de cette histoire et de cette écriture, en un mot de cette voix, était la preuve que le livre devait devenir parole, adresse, acte théâtral ». Le metteur en scène se réfère à la sensation qui l’a envahi à la lecture de ce livre, remis dans ses mains par Gibault même à l’issue de la première du Roi Lear au Théâtre de Sartrouvile. Et la parole de Hrabal devient acte théâtral dans cette pièce à travers une incarnation qui passe d’abord par la chair afin de s’exposer dans les yeux de l’acteur et dans la corporalité de l’acte performatif sonore. La parabole de Hanta, presseur enfermé dans sa cave dont le seul acte qu’on lui demande est de compacter des vieux livres, se déploie sous nos yeux seulement par le biais de la voix et du regard de Gibault. Le petit rat kantien s’instruit malgré lui, sans pourtant rêver de devenir autre chose que ce petit homme qui boit des cruches de bière et qui vit dans les souvenirs de ces deux histoires d’amour dissipées dans le temps.

Accrochés à ce fil vocal, nous découvrons le monde souterrain de notre anti-héros, un univers sombre, malodorant et ancien qui s’oppose à celui de la lumière, propre et machinal de la ville au-dessus. Une stratification géologique et politique, où le pouvoir écrase les petits électrons libres de la même manière qu’il le faut avec les livres réduits à leur existence tangible. Mais là-bas, dans les bas-fonds de la productivité, un petit être se produit dans un acte de résistance politique (qui restera à jamais invisible et stérile) que la production ne pourra pas réabsorber. Hanta, ses livres, ses souris et ses amours sont les déchets d’une société qui se veut dépourvue de défauts, édifiante et exemplaire. La nouvelle Ère du socialisme vise à étouffer le geste artistique artaudien, sans y parvenir en profondeur. L’antre de Hanta se referme sur lui-même et ce geste ultime se donne comme la dernière tentative possible pour garder une trace de la vie de Hanta qui passe pour une minéralisation de l’être. Si le corps de la mère avait traversé le processus de la crémation pour enfin être dissipé sur des navets lors d’un repas, celui de Hanta deviendra le secret de son dernier cube de papier, diamant précieux et ignoré, né dans la sensation de l’inéluctabilité du destin et à l’abri des regards du monde.

Spectacle vu le 15 janvier 2018

Le spectacle a eu lieu :
Théâtre La Renaissance – Petite Salle
7 rue Orsel – Oullins
du lundi 15 au samedi 20 janvier à 20h

Le Théâtre La Renaissance présente :
Une trop bruyante solitude
texte Bohumil Hrabal
cie Théâtre de l’incendie
adaptation, mise en scène Laurent Fréchuret
collaboration artistique Thierry Gibault
lumières Éric Rossi
son François Chabrier
avec Thierry Gibault

durée 1h

www.theatrelarenaissance.com
www.theatredelincendie.fr