Déchirer la chair de l’auditeur

Une atmosphère claustrophobe et oppressante, percée d’éclats de noise, monade lancée à toute vitesse contre un wall of sound particulièrement réussi. Les fulgurants A Place To Bury Strangers ont délicieusement malmené et profondément bouleversé les spectateurs du Marché Gare de Lyon

Jouer au milieu de la foule : se dédouanant des conventions, le groupe newyorkais inaugure son concert lyonnais au beau milieu de la salle du Marché Gare, obligeant l’auditorium qui s’attendait à une sortie classique sur scène, à créer un cercle autour des trois musiciens. Dix minutes de pur chaos sonore nous plongent directement dans l’univers sensible et fulgurant d’APTBS. Une fois la scène investie, le rythme vertigineux enraciné dans les dark eighties de You are the one vient comme gifler les nombreux spectateurs. La suivante We’ve Come So Far est pure violence, morsures électriques, secousses blessantes. Le pogo s’impose comme nécessité vitale. Oliver Ackerman n’hésite pas à détruire sa guitare à la fin du morceau, s’inscrivant dans un acte nécessaire et intrinsèque au mouvement musical exprimé.

La représentation à Lyon était l’occasion pour présenter le dernier opus de la band, le récent Pinned (Dead Ocean, 2018), cinquième album de APTBS depuis 2007. Dans Situations Changes, ballade lysergique en contrepoint aux sonorités de My Bloody Valentine et New Order, la guitare peint des horizons très proprement post-rock. Le retour brusque aux sons basilaires du trio se vérifie avec In Your Heart, si violemment newyorkaise et dépourvue de toute fioriture. Puis, comme un éclair d’étrange délicatesse, une caresse traverse la salle : c’est la voix de la batteuse Lia Simone Braswell, accompagnée par la seule harpe, parenthèse intemporelle et subjuguante. Encore plongés dans cette douceur,  et sans ménagement,  la férocité de Dead Beat nous violente. Le shoegaze ici disparait pour retrouver des sonorités post-punk agressées par une distorsion inquiétante.

Les suivantes Drill It Up et Onwards To The Wall nous plongent dans une étrangéité temporelle entre Joy Division, Nine Inch Nails, Alec Empire et NEU !. Le résultat est suffocant et l’avent de la très rock I Lived My Life to Stand in the Shadow of Your Heart et de la pensive Fear se révèle comme une véritable intervention miraculeuse avant les trois derniers morceaux. On débute avec le deuxième (et dernier) titre tiré de Pinned, Never Coming Back, assez faible et à l’image de l’album. Le sentiment de déception s’estompe dès que nous sommes investis par le plein de Fill The Void : guitare terrifiante, basse écrasante et batterie patibulaire. Nous expérimentons alors l’essence de APTBS :

un interminable flot chaotique de sons, battements, hurlements, réverbères d’Ocean semble vouloir effacer tout repère mais le riff de la guitare fonctionne comme accroche ultime pour ne pas nous perdre. Ce shoegaze anti-mélodique venu de loin nous laisse subjugué et l’on s’éloigne de la salle, portant au creux de soi la salvation et la déchirure comme des plaies ouvertes

Le concert a eu lieu :
Marché Gare
34-36 rue Casimir Perier – Lyon
mercredi 25 avril 2018 à 20h30

Le Marché Gare et Eldorado ont présenté :
A Place To Bury Strangers

Set
Le Four Track
Gooter Dance
You Are the One
We’ve Come So Far
Situation Changes
In Your Heart
Harp Song
Dead Beat
Drill It Up
Onwards to the Wall
I Lived My Life to Stand in the Shadow of Your Heart
Fear
Never Coming Back
Fill the Void
Ocean

www.marchegare.fr
www.eldorado.fr
www.aplacetoburystrangers.com