Émotion et splendeur

F46a04b79e4e99830104a67d14794a7cTrès attendu, l’Alcina a émerveillé le chanceux public du Théâtre des Champs-Élysées avec une distribution parfaite. Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky, Varduhi Abrahamyan et Emöke Baráth (appelée au pied levé à la dernière minute) ont édifié un monument vocal incontestablement mémorable

Parmi les événements immanquables de cette saison lyrique, l’Alcina de Haendel, présenté au Théâtre des Champs-Élysées, a su émerveiller à tous points de vue. La reprise de la production de l’Opernhaus Zürich s’est révélée particulièrement réussie tant dans la mise en scène de Christof Loy que dans le choix des artistes. Le drame de la magicienne amoureuse prend forme dans un théâtre baroque, dont le décor semble reprendre la matérialité des nuages de la salle des Géants à Mantoue. Mais ces murs montrent leur fragilité et le merveilleux château d’Alcina se découvre en pur décor théâtral, merveilleuse surface qui cache machineries et structures.

Dans ce monde bidimensionnel, d’élégants danseurs peignent des lignes harmonieuses et d’une délicatesse d’autrefois, petits ballets qui introduisent les scènes ou délayent la tension d’amour et de vengeance. Dans ce troisième volet des travaux ariostesques d’Haendel, le compositeur allemand atteint l’un des sommets de son œuvre. Les très raffinés enlacements des voix et l’écriture musicale ponctuelle font de cet Alcina une des œuvres le plus raffinées de l’histoire de l’opéra.

Tout à fait à l’aise dans le rôle principal, Cecilia Bartoli incarne une Alcina caractérielle, turbulente et profondément amoureuse. Si son entrée en scène avec l’aria Di’, cor mio est un peu nerveuse, la mezzo italienne se reprend immédiatement avec son interprétation fascinante, résolue et délicate. Ses pianissimo effleurent la matière sonore pour parvenir à des sfumati émouvants, comme dans le Sì, son quella. Mais nous retrouvons la sublime Bartoli dans le deuxième acte avec l’aria Oh, mio cuor. L’air suggéré, comme les violons délicats et saccadés, traversent l’âme de l’enchanteresse, entre déception et trouble, dans l’agnition de la trahison de l’aimé. Le public explose dans des interminables applaudissements à la fin de cette intervention de la chanteuse. À juste titre.

À ses côtés, Philippe Jaroussky a été un parfait interprète de la légèreté haendelienne, enchantant le public avec une prestation sans fautes. Son Ruggiero a été impeccable, sûr et parfait dans les longs vibratos. Il suffirait de citer le Verdi prati exécuté avec fermeté dans une finesse presque impalpable qui reçoit une juste ovation.

Passionnée et force dynamique de l’histoire Varduhi Abrahamyan a interprété une Bradamante capable de rivaliser avec le couple des stars de la soirée. Sa voix ample mais extrêmement charnue, est un véritable délice et sa présence scénique est mémorable. Nous saluons aussi le belle preuve d’Emöke Baráth voix de Morgana qui a pris place dans la fosse tandis que la chanteuse attitrée, Julie Fuchs, souffrant d’une indisponibilité vocale a souhaité maintenir sa présence sur scène. La soprano hongroise part un peu nerveuse mais à partir de la fin du premier acte, son chant devient fluide et équilibré, libéré de toute inquiétude et libre d’exprimer son caractère.

Très belle prestation aussi de la part de la basse Krzysztof Baczyk avec son Melisso profond et terrible, et celle de Christoph Strehl, Oronte chaud et envoûtant.

Emmanuelle Haïm, spécialiste de Haendel, a dirigé sa créature, le Concert d’Astrée, avec brio et justesse, dans un esprit purement baroque. Lumière et légèreté ont ratifié la beauté de cette production.

Spectacle vu le 16 mars 2018

Le spectacle a lieu :
Théâtre des Champs-Élysées
15 avenue Montaigne – Paris
mercredi 14, vendredi 16 et mardi 20 mars 2018 à 19h30, dimanche 18 mars à 17h

Le Théâtre des Champs-Élysées a présenté :
Alcina
de G. F . Haendel
création : 16 avril 1735 Théâtre de Covent Garden, Londres
en italien
Emmanuelle Haïm direction
Christof Loy mise en scène
Thomas Wilhelm chorégraphie
Johannes Leiacker scénographie
Ursula Renzenbrink costumes
Bernd Purkrabek lumières
orchestre et chœur du Concert d’Astrée

Cecilia Bartoli   Alcina
Philippe Jaroussky   Ruggiero
Julie Fuchs   Morgana muette
Emöke Baráth Morgana
Varduhi Abrahamyan   Bradamante
Christoph Strehl   Oronte
Krzysztof Baczyk   Melisso
Barbara Goodman   Cupido

production Opernhaus Zürich

durée 3h50 avec deux entractes

www.theatrechampselysees.fr