Hybridation et imbrication

Après le remarquable Atvakhabar Rhapsodies, l’Anthologie du cauchemar du Système Castafiore poursuit dans la recherche d’une ligne indissociable entre rêve, cauchemar et réalité

 

« Les funestes songes ne sont-ils finalement que la manifestation de notre irrépressible besoin de consolation devant l’absurdité du monde et de l’existence même ? ». C’est à partir de cette question contenant déjà une piste de lecture et d’approche que le metteur en scène Karl Biscuit positionne la dernière création du Système Castafiore. Élèves d’Alwin Nikolaïs, proches du groupe californien Tuxuedomoon, Karl Biscuit et Marcia Barcellos ont fondé ce duo d’excellence théâtrale fondé en 1990, proposant une approche profondément esthétique et fascinante. Si on avait été conquis par le remarquable Atvakhabar Rhapsodies, cette Anthologie du cauchemar poursuit dans cette recherche d’une ligne indissociable entre rêve, cauchemar et réalité. Souvent perçus comme des possibilités de fuite de la réalité, les rêves contiennent et englobent cette dernière, provoquant un résultat osmotique d’une profonde opposition à la mort. Les êtres monstrueux qui peuplent cette pièce n’appartiennent pas à l’élégie d’une métaphysique morbide ou d’un univers dont la tendance serait celle de s’extraire du continuum mondain afin d’idolâtrer le moment cathartique du passage entre la vie et la mort. Ils se positionnent, au contraire, en lien étroit avec le quotidien banal de notre existence. Non des simples exemptions de notre vécu, ces créatures accueillent nos désirs exaucés et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre cette continuité entre le rêve et la réalité. Anthologie du cauchemar montre la porosité irréductible de ces deux univers, comme si le passage au-delà du miroir était une transition constante qui s’effectue sans arrêt, provoquant l’imbrication du réel et du rêve dans une perspective d’indétermination propre à ces états d’entre-les-deux où l’incertain possède une réalité propre et complète.

L’horizon mélancolique et gothique de cette pièce représente la couleur sombre et efficace qui accueille les bribes d’histoire interprétées par des créatures fantastiques. Dans ce monde à la fois indéterminé et net évoluent des êtres mettant en scène quelque chose sans que cela puisse devenir une véritable histoire. Cette résistance à la narrativité produit une ligne de situations minimales, une ponctualité sérielle dont le rapport ne se fait plus entre elles mais entre chaque situation et la réalité. La suite de scènes dévoile une population de monades ne communiquant pas les unes avec les autres mais toutes reliées à notre réalité.

Cette porosité entre réel et rêve rebondit en outre dans l’hybridation des formes et des formules techniques différentes. Voici que les images vidéo se posent sur les objets et sur les corps qui évoluent sur scène, tandis que les remarquables créations sonores pourfendent l’action comme un geste d’incision charnelle. Il s’agit d’une profonde mise en question de la séparation entre veille et sommeil, et ici il nous semble entendre l’écho des réflexions que Walter Benjamin consacra aux surréalistes et au rôle fondamental dont ils s’étaient faits porteurs afin de rétablir la puissance et l’importance du rêve dans le travail artistique et dans la vie. Anthologie du cauchemar restitue ainsi à la veille toute sa puissance mais aussi sa vérité. Il s’agit de rendre à l’homme sa complexité holistique, son entièreté rhizomatique. Et cela ne peut que s’entreprendre à travers une immersion dans le monde onirique. Car comme Benjamin écrivait dans son texte Proximité et lointain, « plus l’homme est accompli, plus le sommeil est profond » (W.Benjamin, Proximité et lointain, dans Id. Rêves, Le promeneur, 2009, p.74)


Le spectacle a eu lieu :
Célestins, Théâtre de Lyon

4 Rue Charles Dullin – Lyon
du mardi 4 à samedi 8 juin 2019 à 20h

Le Théâtre des Célestins a présenté :
Anthologie du cauchemar
Ballet épouvantable
mise en scène, musique, conception vidéo Karl Biscuit
chorégraphie Marcia Barcellos
costumes Christian Burle assisté de Magali Leportier
lumières Julien Guérut
construction des décors Jean-Luc Tourné assisté de Jérôme Dechelette
graphisme Vincent de Chavanes
régie son et vidéo Arnaud Véron
voix Olivier Forgues, Florence Ricaud, Maud Narboni
documentation iconographie Olivier Forgues

www.theatredescelestins.com
www.systeme-castafiore.com