Un infini, résistant, troublant fil de beauté

Chanteuse captivante, Camille a su enchanter le public de Fourvière avec sa voix, prodigieux instrument capable de créer des univers entiers de pure beauté

On entend sa voix mais sa présence physique ne se donne pas. Elle est quelque part, cachée devant nos yeux. On s’aperçoit finalement qu’elle est allongée sur scène, dissimulée par un voile bleu. Sa voix se répand dans le théâtre romain de Fourvière accompagnée seulement par une légère percussion. 4300 présences sont maintenues sur le fil de cette nue, minimale, fascinante voix. Une introduction conçue comme un rituel shamanique de tabula rasa de la vulgarité quotidienne. Le but s’accomplit, selon la tradition, avec un savant mélange de Joni Mitchell et d’une chanson à boire de la Renaissance. Elle est aussi une alchimiste et ses formules sont si secrètes et si visibles. Elle joue avec l’épaisseur du visible, sa texture et sa cécité. Sa lente apparition est de l’ordre de l’extraordinaire, de ce qui sort de l’ordinaire pour lui donner un nouveau sens, une nouvelle lumière.

Oui, nous assistons au concert de Camille aux Nuits de Fourvière.

L’entrée progressive de ses musiciens (deux percussionnistes, un pianiste et trois choristes) est liée à la découverte de son visage. Elle est là, Sous la sable, dans une atmosphère invisible de brouillard (le visible est son terrain de jeu) et, pourtant, on la voit si clairement. Plongée dans un monde bleu, couleur magique et puissante pour l’artiste (et claire référence à Joni Mitchell), Camille entame une danse avec ce voile/veste/drap pour la magnifique Fontaine de lait, où l’on entend résonner la gravité du chant grégorien. Cette sensation solennelle demeure avec Lasso, chef-d’œuvre d’homophonies et sons glissants qui ne démentit le côté martial construit, notamment, par les nombreuses percussions. Cette ouverture montre la forte empreinte du nouvel album OUÏ sur le concert de ce soir. A la fin de la soirée, Camille aura proposé presque l’intégralité de ce petit chef-d’œuvre qui vient tout juste de sortir pour le label Because Music. Sans pause, elle enchaîne avec Je ne mâche pas mes mots, air aux saveurs enfantins, et Seeds, dont la rythmique sèche constituée seulement par des tambours permet d’enfreindre les règles : et voici les musiciens descendre de scène et se promener dans l’amphithéâtre comme une petite fanfare, en contact direct avec le public.

Le texte singulier de Twix se marie à la perfection avec une introduction solennelle et religieuse, un traitement de la musique médiéval et une danse collective sabbatique. En parlant d’univers aux antipodes, voici Too Drunk To Fuck, reprise d’une vieille chanson de Dead Kennedys. Allongée, puis accroupie, puis à quatre pattes, elle imite l’état d’ivresse, mais dépourvu du côté punk. Après un morceaux de ce genre, c’est donc normal de demander si « quelqu’un voudrait danser la bourrée ». Et voici que la scène de Fourvière devient une piste d’une danse ancienne, Les loups, qui vire rapidement vers un rythme tribal et techno. Oui, le génie de Camille résout les antinomies, amadoue les loups et enlace des temporalités musicales lointaines.

Nous retrouvons au long de cette soirée des petites perles du passé (Ilo Veyou, My Man Is Married But Not Me, Pale septembre, Ta douleur) permettant de tresser un concert riche et puissant, entre tendresse (Fille à papa) et engagement (Nuit debout). Camille est hypnotique, tous les yeux sont toujours sur elle et sur chacun de ses mouvements, chargés d’une très forte énergie interne qui est toujours sur le point d’exploser.

Les lumières éclairent le théâtre pour le dernier morceau, Allez Allez Allez, petite chevauchée collective, avant que la chanteuse ne se lance dans l’improvisation finale dédiée à la colline lyonnaise, hommage implicite à l’esthétique de Meredith Monk et de Joan La Barbara.

Merci Camille pour ce moment d’extrême beauté.

Le spectacle a eu lieu :
Grand Théâtre – Parc Archéologique de Fourvière
6 rue de l’Antiquaille – Lyon
jeudi 20 juillet 2017 à 21h00

Le festival Les Nuits de Fourvière a présenté
Camille

Set
(Blue – Joni Mitchell cover)
(Le Tourdion)
Sous le sable
Fontaine de lait
Lasso
Je ne mâche pas mes mots
Seeds
Twix
Home Is Where It Hurts
Ilo Veyou
My Man Is Married But Not Me
Too Drunk To Fuck (Dead Kennedys cover)
Les Loups
Pale Septembre / Winter’s child
Nuit Debout
Fille à Papa
Paris
Ta Douleur
Allez Allez Allez

www.nuitsdefourviere.com