Un minimalisme accidenté

NuitsAprès un silence de presque deux ans, la scène des Nuits de Fourvière retrouve enfin son état naturel, celui d’accueillir les concerts et les spectacles tout au long de l’été. Restée orpheline de ses artistes, la colline lyonnaise renoue avec l’art en proposant une belle programmation pendant deux mois. Ce soir, la vedette de la soirée était la raffinée chanteuse Camille

Chargée d’ouvrir l’édition célébrant les 75 ans du festival des Nuits de Fourvière, Camille n’a pas voulu présenter un simple concert, mais un plus grand spectacle, conçu avec la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin. Initialement prévu pour le mois de septembre de l’année dernière dans le cadre de la programmation de la Biennale de la danse à l’Auditorium de Lyon, … alarm clocks are replaced by floods and we awake with our unwashed eyes in our hands … a piece about water without water a finalement eu lieu, dans une double soirée, en guise de double ouverture de la programmation des Nuits de Fourvière et de la Biennale.

Le postulat de départ représentait déjà un défi : concevoir et réaliser un spectacle sur l’eau sans que l’eau n’apparaisse sur scène. Pour ce faire, il fallait s’appuyer autant sur l’évocation que sur un dispositif symbolique traversé par les mots de Camille et le peu de matériel présent sur scène. Commençons tout d’abord par ce qui en était de l’absence, d’une soustraction due aux évidentes nécessités. Les Phuphuma Love Minus, chorale de danse sud-africaine qui aurait fait de la scène un lieu actif de sons et de mouvements, n’étaient hélas pas présents sur scène. Les difficultés évidentes dues à la situation actuelle (l’évocation du mot “Covid” a été soigneusement évitée pendant toute la durée du concert), ont empêché leur présence physique. Ainsi, une fois encore, le médium de la vidéo est intervenu comme le lien à distance que ces 15 longs mois nous ont permis de re-signifier. La soirée s’ouvre et se clôt sur une vidéo de Phuphuma, sous la forme d’une invitation à la danse et d’un salut liminal.

Camille, dont le concert en 2017 nous avait conquis, se retrouve seule sur scène, sans chœur, sans danseurs, sans musiciens, et avec pour seul soutien un immense costume composé d’une infinité de tissus différents. Ainsi naît une relation corporelle et difficile avec cette robe encombrante, une évocation aqueuse qui répond à toute une série de contradictions pleinement assumées par l’artiste et utilisées à son avantage à travers son habituelle ironie charmante et échevelée. Un corps-à-corps incessant et difficile, traversé par l’imperturbable clarté de sa voix, par sa capacité à intégrer les reprises dans un univers particulier, fou, distrait, brillant. A la claire fontaine est une introduction presque enfantine par laquelle nous entrons sur la pointe des pieds dans son monde. Le surprenant Only Happy When It Rains de Garbage tape du pied, imposant un rythme percussif, presque nerveux. Wet Boy, l’un des titres tirés de sa discographie personnelle, conquiert le public, désormais subjugué par la performance artistique de la chanteuse parisienne.

Mais l’univers aquatique n’est pas que légèreté et rêve. Il peut également évoquer la mort et la destruction. Comme dans le cas de la grande inondation du Mississippi de 1927, qui trouve sa traduction dans Louisiana 1927 de Randy Newman. Tout de suite après, comme pour retrouver l’aspect ludique et léger qui peine à maintenir la cohésion du spectacle, apparaît Canards sauvages, un divertissement en musique de bruits corporels, de battements et d’éclats de voix. Suivent Cry Me a River, une torch song écrite pour Ella Fitzgerald et interprétée avec beaucoup d’intensité, et Le lac Saint-Sébastien, hommage à Anne Sylvestre, qui clôt le spectacle-concert.

Les mouvements scéniques très mesurés accompagnent très bien les errances mentales de Camille, mais demeure la sensation d’un spectacle monotone, inachevé, trop victime de ce minimalisme qui ne semble pas être l’horizon visé initialement par l’artiste mais apparaît, plus précisément, comme le résultat d’un travail de vidage d’un univers baroque. Qu’il s’agisse de nécessité ou de choix, la question demeurera sans réponse.

Le concert a eu lieu :
Grand Théâtre – Parc Archéologique de Fourvière
6 rue de l’Antiquaille – Lyon
mercredi 2 juin 2021 à 19h30

Le festival Les Nuits de Fourvière et la Biennale de la danse ont présenté
… alarm clocks are replaced by floods and we awake with our unwashed eyes in our hands … a piece about water without water
un concert-spectacle de Camille et Robyn Orlin
direction artistique Robyn Orlin
musique Camille
scénographie Robyn Orlin
costumes Birgit Neppl
coproduction Les Nuits de Fourvière, Cité de la Musique-Philharmonie de Paris, La Bâtie – Festival de Genève, Biennale de la danse de Lyon 2021 | Avec le soutien du CND – Centre National de la Danse, accueil en résidence
avec le soutien de Groupama Grand mécène des Nuits de Fourvière
à l’instigation et en coproduction avec la Philharmonie de Paris
durée 1h15

www.nuitsdefourviere.com
www.labiennaledelyon.com