De la rigueur, du théâtre et de l’angélique

Les Siècles RomantiquesLes Carmina Burana de Carl Orff ont ouvert la nouvelle saison des Siècles Romantiques, ensemble lyonnais dirigé par Jean-Philippe Dubor parmi les plus appréciés de la Région. La chapelle de la Trinité de Lyon a été, comme à l’accoutumée, l’écrin d’une soirée exceptionnelle.


C’est en 1937 que le nom du compositeur allemand Carl Orff entre dans l’histoire de la musique avec la première des Carmina Burana donnée au Vieil Opéra de Francfort-sur-le-Main. A partir de la découverte de certains manuscrits conservés dans l’abbaye de Beuren, en Autriche, Orff eut l’idée de composer vingt-quatre numéros encadrés d’une invocation à la Fortune qui fera, c’est le cas de le dire, la fortune de la composition. Approcher cette œuvre représente à chaque fois, un défi lancé à l’histoire et au mythe ; que les musiciens et les chanteurs doivent assumer et traverser avec le même caractère marmoréen affiché dans l’ouverture des Carmina Burana.

Le soir du mardi 11 décembre, cette tâche est revenue au chef d’orchestre Jean-Philippe Dubor et à son ensemble Les Siècles Romantiques. Dans l’intime et élégante nef de la chapelle de la Trinité de Lyon, les notes de cette pièce ont résonné avec ponctualité et intensité, sans jamais glisser dans une modération honnie par Monsieur Dubor. O Fortuna, l’ouverture célèbre de la composition nous a plongé immédiatement dans le coeur de la soirée : le chant vigoureux, attentif et péremptoire du chœur a interprété l’invocatio à la déesse subjuguant immédiatement l’auditoire de la chapelle, tandis que le dialogue serré entre les deux pianistes Fabrice Boulanger et Nobuyoshi Shima atteint à l’émotion pure. Un temps. Sous la bénédiction de la Fortune, voici que le printemps s’est ouvert avec douceur et légèreté : le chœur tisse cette première partie en opposition à la solidité de l’ouverture, dévoilant la face la plus intense et la plus fragile de l’œuvre.

Avec la deuxième partie nous changeons immédiatement d’horizon et nous retrouvons In Taberna : le premier mouvement Estuans interius est un hymne à une vie vouée aux plaisirs « Via lata gradior/more iuventutis/inplicor et vitiis/immemor virtutis/ voluptatis avidus magis quam salutis/mortuus in anima/curam gero cutis » (Sur la large voie je marche/au gré de la jeunesse/je ne me plie ainsi qu’aux vices/oublieux de ma vertu/je suis avide de plaisirs/plus que de mon salut/mort dans mon âme/je porterai soin à la chair). Le baryton Marcin Habela crée la surprise avec une interprétation théâtrale et dramatisante de cette confession satirique tandis que Karl Laquit émerveille avec son Olim lacus colueram, mouvement contrasté dans lequel le cygne chante son malheur d’avoir été arraché à sa danse pour devenir simple viande à consommer. Le mouvement suivant Ego sum abbas voit le retour du baryton Habela pour un numéro remarquable par son interprétation riche, débordante, truculente, où le texte sculpte le réel et d’où l’abbé de Cocagne émerge du manuscrit pour se donner dans son apparence de grand ivrogne.

La troisième et dernière partie tourne une autre page de ces anciens textes pour, enfin, traiter de l’amour. Soudain, un ange se dévoile : Sophie Desmars interprète les paroles d’Amor volat undique comme si elle était faite de la même matière que le sentiment amoureux le plus délicat et fragile et, pourtant, quelque chose d’éternel demeure dans son chant. La note finale semble ne pas s’achever, et puise dans un horizon métaphysique pour quelques instants, éternels. Mais le chœur d’homme ramène la figure féminine à une mondanité lascive et physique, avant de retrouver la formule d’invocation initiale et refermer le cercle de l’œuvre.

Jean-Philippe Dubor sait extraire de la matière musicale une essence vivante et vibrante, crue, indomptable, la restituant par le prisme d’une direction rigoureuse et passionnée. Une appropriation sans possession, où le geste de la prise mondaine, charnel, s’affranchit du symbolique ; un geste érotique qui dépose – au sens christique –  la signification de la création et révèle la pulsation intime que toute grande œuvre contient dans son secret.

Le concert a eu lieu :
Chapelle de la Trinité
29-31 rue de la Bourse – Lyon
mardi 11 décembre 2018 à 20h

Les Siècles Romantiques ont présenté :
Carl Orff – Carmina Burana

Chœur, solistes, 2 pianos, 17 percussions
Pianos Fabrice Boulanger et Nobuyoshi Shima
Percussions  Gisèle David, Cédric Dupuy, Martin Malatray, Maurent Mariusse, Baptiste Rulhmann
Soprano Sophie Desmars
Mezzo-soprano Alice Didier
Ténor Karl Laquit
Barytons Marcin Habela et Bardassar Ohanian

Les Siècles Romantiques
direction Jean-Philippe Dubor

http://www.lessieclesromantiques.com