Sous l’influence de la lune

Rendez-vous incontournable de l’été lyonnais, le festival des Nuits des Fourvière continue de nous surprendre par sa richesse et la grande variété de ses formes artistiques, proposées au long des mois de juin et de juillet. Notre festival a commencé ce samedi 16 juin avec une soirée lunatique en compagnie de Feu ! Chatterton et Dominique A

Phénomène musical depuis son apparition sur les scènes françaises, Feu ! Chatterton a fait étape au festival Les Nuits de Fourvière de Lyon pour une première partie plutôt décevante quoiqu’efficace, appréciée par un public assez généreux. Un savant mélange entre les deux albums du groupe, le sombre Ici le jour (a tout enseveli) (Barclay, 2015) et le plus lumineux L’Oiseleur (Universal, 2018), a réussi le défi de conquérir le théâtre antique de la colline lyonnaise. Une musique auto-complaisante, nourrie de sa propre fascination, capable, pourtant, de moments de libération vitale (le blues d’Ophélie), mais aussi de tentatives ratées de descendre dans la rue (le rythme énervé de L’ivresse détruit par un étonnant côté plastique). Le concert des parisiens s’ouvre et semble prendre du sens seulement en fin de set, avec deux petites perles : A l’aube et La mort dans la pinède. La musique se pare d’atours séduisants, et le narcissisme laisse la place à une ponctualité intelligente et convaincante. La voix d’Arthur Teboul ne court enfin plus après ses propres paroles, mais se laisse envelopper, tandis que ses acolytes dessinent un rock magistral, dont les riffs de guitare se révèlent l’arme définitive d’une difficile conquête. A noter, une petite surprise dans les trop nombreux rappels : La fenêtre, loin de nous conquérir à l’écoute de l’album, assume une puissance étrangement envoûtante en live. La voix de Teboul plonge dans un océan de sons, jusqu’à être engloutie, resurgissant quelquefois, comme pour reprendre souffle et ne pas succomber. Un moment inattendu de beauté dans un mur d’électro-pop lancé vers les limites du shoegaze.

Le contraste est criant, après cette première partie inégale, avec l’arrivée d’un maître discret, un artiste à la fois affirmé et transparent à toute tentative de couronnement publique. Dominique A investit la scène sans effets ou affectations, et distille pendant une heure et demie une vingtaine de morceaux d’une beauté rare et renouvelée.

Le la du set est donné par Cycle, chanson qui ouvre également son dernier travail, Toute latitude (Cinq 7/Wagram, 2018) et la stature de l’artiste s’impose instantanément. La beauté captivante de cette circularité verbale, de ces mots qui s’ensuivent sans nécessité de trouver une signification univoque, ni d’aborder un symbolisme hermétique, rejoint l’expression d’une poésie tournée vers l’autre. A une fascination superficielle, Dominique A oppose la profondeur du geste artistique et la création essentielle. La mort d’un oiseau est d’une clarté rare, d’une définition parfaite : « La mort d’un oiseau ça n’est jamais rien/Quand on tient la mort au creux de sa main »

L’inquiétude émerge graduellement d’une insistance angoissante dans la simplicité des mots, incantation qui se fait acérée dans Pour la peau, jusqu’à devenir coupante, blessante. Les deux côtés d’une ombre nous offre alors un lâcher prise de l’artiste dans une danse androgyne/robotique, animée d’une base claustrophobique à la Nine Inch Nails et sculptée par un rythme très NEU !. Après la captivation sémantique, cette messe noire musicale plongée dans les tardives années 80 libère l’élan originaire et désinhibé, affranchissant le corps du regard extérieur. Le reflet, très loin du reggae qu’on lui attribue, se révèle divagation idiotique, veinée de lignes de guitares crépitantes. « C’était du reggae ça ? De toute façon, j’y comprends rien… A part Police, moi… ».

Le concert se poursuit dans la simplicité d’un rock sain et sincère, entre caresses douces (L’océan, Toute latitude, Eléor), stream of consciousness sous acide citant Police proches des tentatives d’épuisement d’Alain Robbe-Grillet (Corps de ferme à l’abandon), ballades émouvantes (Au revoir mon amour), pour se conclure dans un schéma tournoyant et vertigineux, avec la magnifique Le convoi.

Dominique A prend congé de la scène de Fourvière et nous laisse définitivement conquis par l’élégance d’une forme esthétique d’une rare intensité, où  l’anachronisme de certains sons se retrouve inclus dans le schéma d’atemporalité ponctuelle et définie de sa création.

Le spectacle a eu lieu :
Grand Théâtre – Parc Archéologique de Fourvière
6 rue de l’Antiquaille – Lyon
samedi 16 juin 2018 à 19h30

Le festival Les Nuits de Fourvière a présenté
Dominique A + Feu ! Chatterton

Set Feu ! Chatterton
Ginger
Côte Concorde
Zone libre
Ophélie
Grace
L’ivresse
À l’aube
La mort dans la pinède
Boeing

Encore

Souvenir
Porte Z
La fenêtre
La malinche

Set Dominique A
Cycle
La mort d’un oiseau
Pour la peau
Les deux côtés d’une ombre
Va t’en
Le reflet
Se décentrer
L’océan
Toute latitude
Rendez-nous la lumière
Le commerce de l’eau
Cap Farvel
Corps de ferme à l’abandon
Le métier de faussaire
Au revoir mon amour
Immortels
Le courage des oiseaux

Encore

Éléor
Le convoi

www.nuitsdefourviere.com