Chiaroscuro Carlos

Troisième et dernier chapitre du Festival Verdi de l’Opéra de Lyon, le Don Carlos de Christophe Honoré ne mise pas sur la grandeur mais sur un travail extrêmement cinématographique du chiaroscuro. Le résultat ? Puissant et convaincant

Drame historique d’une grande force scénique, le Don Carlos de Verdi demeure encore aujourd’hui parmi les opéras les plus puissants et émouvants. L’amour entre Élisabeth de Valois et Don Carlos, l’Infant d’Espagne, doit se rendre aux raisons de l’État, aux intérêts supérieurs qui étouffent tout élan vital. Cet amour sacrifié mais jamais oublié, mutera afin de devenir ardeur patriotique pour la libération des Flandres. Verdi, partant du texte de Schiller, entreprend un travail dans l’histoire pour libérer le drame, justement, du poids de l’histoire et pour se consacrer à un conte fantastique, empli d’incohérences et d’invraisemblances, qui unit amour et sens de la Patrie à l’intérieur d’un pouvoir établi. À partir de cela, le metteur en scène Christophe Honoré dans la version parisienne du 1867 présentée à l’Opéra de Lyon, conçoit un univers qui esquive la grandeur pour se consacrer majoritairement à une attention plus intime, liée aux sentiments humains et dont la célébration est apanage des voix plus que des structures.

L’ouverture de ce Don Carlos donne immédiatement la température qui marquera tout l’opéra. Les bûcherons et leurs femmes ne possèdent aucune connotation puisque, plongés dans un brouillard épais, gris et impénétrables, ils deviennent ombres et voix sans corps, présences fantomatiques fondant la vox populi avec la vox dei. Introduction symptomatique, ce travail visuel sera au cœur de la mise en scène d’Honoré. La grande attention donnée aux ombres et à la lumière sculpte tout l’opéra avec un chiaroscuro très cinématographique, redevable plus à Rembrandt qu’au Caravage et transposé dans un espace qui pousse le théâtre et la peinture vers un espace circulaire. Un univers atmosphérique sacrifiant la connotation, permettant, ainsi, le jeu d’un contrepouvoir. C’est en fait dans le brouillard qu’Élisabeth et Carlos peuvent s’embrasser, devant la foule et, pourtant, cachés de tous les regards. La mise en scène de Christophe Honoré s’immerge dans les émotions et les structures architectoniques d’Alban Ho Van sont au service de cet élégant travail de recherche. Voici que le couvent de saint-Just est fortement scorciato afin d’accroitre le sentiment religieux et la peur d’un jugement provenant de l’Au-delà. L’énorme retable de Velasquez avec la Crucifixion rajoute une verticalité oppressante, une ligne dirigée vers le ciel mais qui retombe indéfectiblement vers la terre.

Malgré les critiques et les mécontentements qui résonnent de plusieurs parts, nous avons trouvé la première partie du ballet de la Reine de l’acte III assez frais et, sinon essentiel, au moins agréable. La deuxième partie, une danse grotesque et parfois violente, s’éloigne un peu de l’histoire mais elle ne déplait pas. Nous absolvons, ainsi, la chorégraphe Ashley Wright des accusations et des stigmatisations qui lui ont été avancées.

Côté chanteurs, Sally Matthews a interprété une Elizabeth légèrement glissante, d’une extrême puissance, notamment dans les aigus. Elle est la parfaite incarnation du tragique, même dans les chants d’amour avec son Carlos. Malheureusement, les deux fiancés se positionnent sur deux registres bien distincts, ne permettant pas un enlacement amoureux intense mais une constante déclaration à deux voix. En revanche, dans les parties solistes, la Matthews arrive à exprimer des vibratos très émouvants et fascinants.

Le Don Carlos de Sergey Romanovsky souffre un peu face au chant débordant d’Élisabeth dans le premier acte mais, à partir du deuxième, nous avons pu admirer pleinement son chant raffiné et élégant, très bonne incarnation de la vérité du sentiment amoureux et patriotique. Ami fraternel, le marquis de Posa a respecté sa lignée noble grâce à l’interprétation dramatique de Stéphane Degout. S’il se montre légèrement en décalage avec son Carlos dans le duo du premier tableau du deuxième acte, dans le deuxième le rayonnement de son chant est tel qu’il éblouit tout l’auditoire. Voix de la supplication et de la fidélité, Dégout se révèle un interprète extraordinaire, extrêmement fascinant, atteignant son chef-d’œuvre vocal dans le sacrifice ultime sous les yeux d’un Don Carlos atterré.

Dans le rôle de la princesse Eboli nous avons pu admirer une magnifique Eve-Maud Hubeaux, dotée d’un chant captivant et équilibré. Les fioriture dans le deuxième tableau de l’acte II sont ravissantes et sa voix s’élève comme une merveilleuse séduction malgré un corps obligé dans un fauteuil roulant

Après l’avoir admiré en 2017 dans le même rôle à Milan nous avons retrouvé Michele Pertusi en Philippe II. Et une nouvelle fois, la basse parmesane s’est révélé brillant et son traitement vocal terriblement ténébreux a donné le juste poids à son personnage. Roberto Scandiuzzi, après avoir interprété le général Banco dans Macbeth, nous livre un parfait Inquisiteur, moralisateur mais sauveur envoyé de Dieu (ou de Charles-Quint ?) pour désamorcer le conflit entre le peuple et le Roi.

Tre su tre. Après les prestations remarquables dans les deux autres chapitres, Daniele Rustioni clôt ce Festival Verdi avec une troisième parfaite interprétation de la partition verdienne. Chef extraordinaire capable de diriger un orchestre attentif, Rustioni maintient énergie et élégance entre ses mains, ouvrant une voie de grands succès aux productions de l’Opéra de Lyon.

Spectacle vu le 24 mars 2018

Le spectacle a lieu :
Opéra de Lyon
1 Place de la Comédie – Lyon
samedi 17, mardi 20, jeudi 22, samedi 24, mercredi 28 et vendredi 30 mars 2018 à 18h30, lundi 2 avril à 15h, vendredi 6 avril à18h30

L’Opéra de Lyon présente
Don Carlos
de Giuseppe Verdi
opéra en 5 actes
version parisienne en cinq actes, 1867
livret de Joseph Méry et Camille du Locle, d’après Friedrich von Schiller
en français

direction musicale Daniele Rustioni
mise en scène Christophe Honoré
décors Alban Ho Van
costumes Pascaline Chavanne
lumières Dominique Bruguière
chorégraphie Ashley Wright
orchestre, chœurs et studio de l’Opéra de Lyon

Philippe II, roi d’Espagne   Michele Pertusi
Don Carlos, infant d’Espagne   Sergey Romanovsky
Rodrigue, marquis de Posa   Stéphane Degout
Le Grand Inquisiteur   Roberto Scandiuzzi
Un Moine   Patrick Bolleire
Élisabeth de Valois   Sally Matthews
La Princesse Eboli   Eve-Maud Hubeaux
Thibault, page d’Élisabeth   Jeanne Mendoche
Voix d’en haut   Caroline Jestadet

nouvelle production
durée 5h avec entracte inclus

www.opera-lyon.com