Un nouveau départ

Festival D'avignon«Se souvenir de l’avenir» est le thème choisi pour la 75e édition du Festival d’Avignon qui se déroulera du 5 au 25 juillet permettant au public de retrouver, après l’édition annulée de l’année dernière, ce rendez-vous primordial de l’art du théâtre et de la danse contemporains

« Le festival d’Avignon aura lieu du 5 au 25 juillet ». A partir de cette déclaration, Olivier Py, directeur de l’événement depuis 2013, a établi une réalité qui dépasse le simple désir et l’envie que la 75e édition du festival voie le jour. Le pouvoir de la contre-effectuation instaure la condition-même de sa propre réalisation, balayant toutes les difficultés et les contraintes du présent immédiat pour proposer contre toute attente un regard clairvoyant et mnésique. Oui, le festival d’Avignon aura lieu. Jouissons de cette annonce et plongeons dans la riche programmation concoctée pour cette grande réouverture.

Le thème choisi pour l’édition de 2021 annonce la violence de l’ébranlement envers la linéarité chronologique et causale du temps : « Se souvenir de l’avenir ». Pourquoi ? Parce que le vécu ne se positionne pas seulement dans le passé, mais se révèle partie active de la création du futur. De la même manière, le futur agit sur le passé avec le même regard que l’Ange de l’Histoire benjaminien. Il y a une création du futur exactement comme il y a une (re)création du passé. Dans cette tension prévoyante/rétrospective, la mémoire et le non-vécu agissent comme des forces façonnant les deux pôles. Là où la création artistique peut inventer ses propres conditions d’existence. Il sera question de dystopie, d’utopie, de rêve présent, mais aussi de fantastique, de science-fiction, comme pour nous rappeler que la culture ne caresse pas dans le sens du poil.

Après l’annulation de la 74e édition, partiellement remplacée par la « La Semaine d’art en Avignon » (nom qui révoque la première désignation de l’événement choisie en 1947 qui allait ensuite se définir comme « Le festival ») organisée du 23 au 31 octobre 2020, celui de cette année s’annonce comme un événement phare dans le brouillard encore impossible à dissiper de l’univers culturel international en 2021. « Une édition exceptionnelle » n’a pas hésité à avertir Olivier Py, dont la durée sera de 21 jours, un jour de plus que 2019. 46 spectacles, 40 lectures, 70 débats et rencontres et quatre expositions feront du torride Avignon un oasis incontournable. Parmi les spectacles, on compte 39 créations et 29 spectacles produits ou coproduits par le festival. La présence des femmes constitue enfin une part non négligeable avec 26 femmes porteuses de projets contre 30 hommes (dont deux collectifs). La présence internationale s’affirme avec 42% de spectacles portés par des équipes étrangères. Si la jauge à 100% est confirmée, il y aura 131500, 20000 billets de plus ouverts à la vente par rapport à 2019, auxquels il faut ajouter 40000 entrées libres.

Le premier spectacle qui ouvrira les danses sera Entre Chien et loup de Christiane Jatahy, l’histoire d’une femme qui quitte son Pays, le Brésil, pour fuir le régime fasciste. Dans une adaptation libre à partir de Dogville de Lars von Trier, Christiane Jatahy imagine un déroulement différent de celui du film : une tentative de ne pas répéter cette histoire, se soustrayant à l’échec de l’humanité. Avec La Cerisaie de Tiago Rodrigues, qui inaugurera le soir du 5 juillet une cour d’honneur du Palais des papes complètement refaite, il nous sera permis de redécouvrir la célèbre pièce de Tchekhov. L’incertitude de l’avenir, les angoisses profondes qui s’abritent dans la société et dans les familles tentent ici d’emprunter les moyens expressifs du grand écrivain russe pour s’ancrer au réel d’aujourd’hui – nous aurons en outre le plaisir de retrouver Isabelle Huppert dans le premier rôle.

On retrouvera Bérangère Vantusso avec son spectacle jeune public Bouger les lignes. Histoire de cartes avec la participation du plasticien Paul Cox et de l’écrivain Nicolas Doutey. Les cartes nous font rêver, nous décentrent, nous racontent des histoires. Pour nous présenter leur spectacles, Bérangère Vantusso a décidé de puiser dans une des pierres angulaires de la philosophie du XXe siècle : « La carte, on peut la dessiner sur un mur, la concevoir comme une œuvre d’art, la construire comme une action politique ou comme une méditation » (Gilles Deleuze, Félix Guattari, « Rhizome », Capitalisme et Schizophrénie 2, Mille plateaux).

La philosophie contemporaine sera le centre du feuilleton Hamlet à l’impératif ! de Olivier Py qui aura lieu dans le jardin de la bibliothèque Ceccano tous les jours à midi. Un retour impératif vers une des œuvres fondatrices du théâtre l’interrogeant par le prisme de la puissance de la réflexion contemporaine

Penthésilé·e·s. Amazonomachie de Laëtitia Guédon est une commande à l’écrivaine Marie Dilasser (autrice du magnifique Blanche-Neige, histoire d’un prince en 2019) et s’axe sur la question intergénérationnelle du féminisme et sur le lien entre les femmes et le pouvoir (et non pas la puissance).

Le retour de Caroline Guiela Nguyen au festival sera marqué par la présentation de Fraternité, conte fantastique un spectacle presque de science-fiction, deuxième volet de l’œuvre Fraternité, composé par le court métrage Les Engloutis (2021) et sera clôturé par le spectacle L’Enfance, la Nuit en création à la Schaubühne en 2022.

Liebestod El olor a sangre no se me quita de los ojos Juan Belmonte de Angélica Liddell est un travail consacré à la figure mythique du toréro andalou Juan Belmonte et de son suicide d’amour, le tout traversé par la musique de Richard Wagner.

Avignon retrouvera le metteur en scène sud-africain Brett Bailey avec son spectacle musical Samson, figure mythique et précurseur de l’homme révolté qui s’oppose à tous les vents, tous les pouvoirs : « figure de l’absolu poétique, de l’absolu politique », comme l’a défini le directeur Olivier Py.

Le spectacle itinérant de Karelle Prugnaud Mister Tambourine Man, sur un texte d’Eugène Durif, est inspiré du conte du Joueur de flûte de Hamelin. La pièce se déroule cette fois-ci dans un bar où le serveur misanthrope Niko, rencontre Dan, le Mister Tambourine Man du titre. La plus belle définition de cette pièce est donnée par Prugnaud elle-même : « Mister Tambourine Man est un spectacle qui va se jouer partout où les humains cherchent de l’humanité »

Beaucoup d’attentes entourent ceux-qui-vont-contre-le-vent de Nathalie Béasse. Peu de détails ont été dévoilés mais nous savons déjà qu’il s’agira d’une interrogation sur l’humain par le biais d’une histoire des tribus qui avancent malgré les obstacles, de la disparition de la fratrie et de la raréfaction des liens du sang.

Après avoir présenté Tristesses (en 2016) et Arctique (en 2018), Anne-Cécile Vandalem proposera la conclusion de sa trilogie dédiée aux échecs de l’humanité avec Kingdom. Il s’agit ici d’une histoire de deux familles qui décident de quitter l’Europe pour construire une nouvelle communauté dans la taïga sibérienne. Au bout de quelques années, et après de nombreuses tensions, une barrière sera posée entre les deux familles. Ici se concentrent les interrogations concernant l’aspect enfantin du conflit : quelle est la portée du regard de ces enfants ? Quel est leur héritage ?

Cet été nous retrouverons également Maguy Marin avec son spectacle Y aller voir de plus près inspiré des batailles du Péloponnèse et des mots de Walter Benjamin, en particulier celle de son texte éclairant Expérience et pauvreté : « Pauvres, nous avons dispersé l’héritage de l’humanité. Tenir bon. L’humanité s’apprête à survivre, s’il le faut, à la disparition de la culture. Et surtout, elle le fait en riant »

Baptiste Amann proposera sa trilogie Des territoires (Nous sifflerons la Marseillaise… ; …D’une prison l’autre… et …Et tout sera pardonné ?), une longue fresque de sept heures divisée en trois épisodes, chacun centré sur un moment clé de l’histoire de France (le Révolution Française, la Commune de Paris et la Révolution Algérienne).

Le roman La Dernière Nuit du monde de Laurent Gaudé sera mis en scène par Fabrice Murgia au Cloître des Célestins. Véritable utopie du capitalisme, il s’agit ici de supprimer le sommeil afin d’exploiter l’homme de façon absolue. L’humanité sera définitivement fragmentée et le protagoniste deviendra celui qui essayera de reconstruire l’histoire à travers des bribes d’histoires.

Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero présenteront Lamenta, travail inspiré du miroloi, chant et danse de lamentation du nord de la Grèce qui essaie de transcender la perte et ce moment d’absence.

Alice Laloy annonce un inquiétant et essentiel Pinocchio(live)#2, un spectacle particulier, une dystopie de la transhumanité, rite de passage dans un monde de science-fiction, où les pantins essaient de retrouver la vie à travers une deuxième transformation par le biais de la transe. Victoria Duhamel nous proposera sa version d’une opérette peu connue de Offenbach, Le 66 ! (sur un livret de Pittaud de Forges et Laurencin) dans laquelle un homme pense avoir décroché le gros lot à la loterie.

Autophagies (Histoires de bananes, riz, tomates, cacahuètes, palmiers. Et puis des fruits, du sucre, du chocolat) d’Eva Doumbia et Armand Gauz se déroule autour de la préparation d’un repas (le mafé, sauce originaire d’Afrique de l’ouest à base de pâte d’arachide) et cet escamotage devient l’occasion d’esquisser une histoire postcoloniale, mais aussi l’impensé se cachant derrière. De toute façon, j’ai très peu de souvenirs d’Éric Louis est un hommage à l’Antoine Vitez pédagogue et à son héritage à travers la mémoire et les textes de ses élèves au Théâtre national de Chaillot,

Felwine Sarr a demandé à Dorcy Rugamba de mettre en scène les textes de René Char et de Frantz Fanon et de lui-même. Le résultat de cette collaboration est une nouvelle création, Liberté, j’aurai habité ton rêve jusqu’au dernier soir, un spectacle musical sur les enjeux et le rêve de la liberté.

Après six ans d’absence, le collectif d’Anvers FC Bergman inaugure son retour avec The Sheep Song véritable dystopie dans laquelle un petit mouton, s’échappant de son troupeau, se dirige vers l’humanité dans la difficile tentative de leur ressembler. Le festival retrouvera aussi l’italienne Emma Dante non pas avec des chorégraphies mais avec deux spectacles de théâtre. Le premier Misericordia raconte une réalité sordide faite de violence envers les femmes, solitude, prostitution et d’amour maternel et de métamorphisation. Pupo di zucchero – La festa dei morti est, en revanche, l’histoire de la préparation d’un gâteau en forme de bébé par un homme âgé.

Un fait divers qui n’a pas été exposé dans les journaux est au centre de ROYAN. La professeure de français de Frédéric Bélier-Garcia, sur un texte de Marie NDiaye. Un spectacle féministe qui s’annonce bouleversant. Egalement bouleversant le spectacle hongrois Cząstki kobiety (Une femme en pièces) de Kornél Mundruczó, écrit par Kata Wéber. Une pièce déchirante qui parle de la condition féminine, de l’expérience traumatisante d’une fausse couche et de cette vie in nuce.

Archée est le travail de Mylène Benoit, inspiré du Kyodo, un art martial uniquement pratiqué par les femmes, traitant de l’effacement des femmes de l’histoire de l’humanité. Phia Ménard revient à Avignon avec une trilogie autour de l’architecture : La Trilogie des Contes Immoraux (pour Europe), une histoire de nos défaillances sur le libéralisme, le patriarcat et la vision du micro-politique dans laquelle nous vivons dans la tentative de retrouver une forme d’essentiel de l’humain.

Parmi les chorégraphies les plus attendues il faut citer Le sacrifice de Dada Masilo, qui puise son inspiration dans Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky et notamment, de la version de Pina Bausch, est traversé par une étude de l’animalité de la danse tswanaise et any attempt will end in crushed bodies and shattered bones de Jan Martens qui intègre les gestes des manifestants luttant à travers la passivité et l’immobilité dans un corps dansant choral de dix-sept interprètes de 16 à 69 ans suivant des compositions variées, de Górecki à Kae Tempest, de Max Roach, à Abbey Lincoln.

Madeleine Louarn et Jean-François Auguste présenteront le spectacle Gulliver – Le dernier voyage, une adaptation de son voyage moins connu, le troisième, avec des artistes en situation de handicap du groupe Catalyse. Le retour de Dimitris Papaioannou sera marqué par Ink, un duo que l’artiste définit comme « une Annonciation masculine ». Le collectif du Nouveau Théâtre Populaire proposera un spectacle d’inspiration vilarienne, Le Ciel, la Nuit et la Fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché), un théâtre pauvre qui met l’acteur au centre de la pièce.

Bashar Murkus propose المتحف (Le Musée), un spectacle palestinien évoquant la violence, d’une très grande puissance intellectuelle et visuelle, axé sur une fusillade ayant eu lieu dans un musée d’art contemporain. La condition féminine est au centre de Le Mur invisible (d’après le roman de Marlen Haushofer), une création de Lola Lafon et Chloé Dabert sur l’histoire d’une femme qui s’emmure dans un mur invisible l’isolant du reste du monde, mais aussi de Sonoma de Marcos Morau, histoire d’une communauté féminine écrasée par la violence patriarcale et religieuse.

D’une très grande puissance visuelle, Η Μικρή μέσα στο Σκοτεινό Δάσος (La Petite dans la forêt profonde) est présenté sur un texte de Philippe Minyana avec la mise en scène de Pantelis Dentakis. Il s’agit d’un spectacle qui va se construire avec le medium de la vidéo et l’interventions de toutes petites marionnettes. Les thématiques abordées sont l’arrogance, l’immoralité, la vengeance, la violence définies et clôturées par une phrase prononcée par le roi avant la catharsis finale : « Nos projets sont toujours détournés, on croit faire la loi et on nous piétine ».

Mais le festival ne se résume pas qu’au théâtre, danse ou performance. Nombreux sont les événements parallèles traversant les trois semaines de festival. Commençons par la rencontre-évènement dont le titre reprend celui du festival : Se souvenir de l’avenir, dialogue entre Edgar Morin et Nicolas Truong qui se tiendra à la Cour d’honneur du Palais des papes le mardi 13 juillet, point de départ de la célébration des 100 ans du grand penseur français. La rencontre sera enrichie par les interventions de Christiane Taubira et de Judith Chemla.

Côté expositions, le festival propose Proche, le travail que Grégoire Korganow présentera à l’Église des Célestins et qui sera centrée sur une réflexion de la condition en milieu carcéral, en trois temps : à la sortie du parloir, aux portes des prisons et par les voix d’anonymes, des lettres de personnes détenues qui ont répondu à la question « De quoi rêvez-vous ? ».

Deux autres expositions seront liées à la programmation : Côté jardin – Jean Vilar et Avignon, promenade photographique au Jardin des Doms évoquant le rêve du théâtre du grand artiste et Tigres et Vautours de Yan Pei-Ming au Palais des papes et à la Collection Lambert.

L’œuvre de Théo Mercier – l’affiche du festival – est aussi fascinante : polysémique, elle représente une crase entre une coupe d’agate et une tête de sculpture aztèque, comme pour nous signifier que « l’avenir commence à l’intérieur de chaque boite crânienne », ainsi affirmé par Olivier Py lors de la conférence de presse. L’artiste sera à l’honneur d’une exposition à la Collection Lambert et il proposera Outremonde, le spectacle d’un monde post-apocalyptique qui mutera de forme selon les comédiens. Dans cet univers prendront forme des histoires de fantômes, de migrants, de marginaux qui donneront vie à cet outre monde inquiétant et fascinant.

Parmi les spectacles en partenariat, nous citons le désormais classique cycle de Vive le sujet avec la SACD au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph composé de huit spectacles de Aina Alegre, Hakim Bah, Johanny Bert, Juglair, Nach, Violaine Schwartz, Loïc Touzé et David Whal.

Pendant dix jours, la cour du Musée Calvet sera investie par la programmation de Fictions avec France Culture, avec des invités d’exception comme Sandrine Bonnaire, Fabrice Luchini et Omar Sy en partenariat avec France Culture. Le programme Ça va, ça va le monde avec RFI qui défend la création contemporaine mettra à l’honneur cette année la vivacité de la réflexion africaine.

S’ensuit la proposition de Territoires cinématographiques avec des projections qui jalonneront les trois semaines du festival avec des films de Emma Dante, Jean-Gabriel Carasso, Kornél Mundruczó, David Dufresne, Mohammad Rasoulof, Christiane Jatahy, Almudena Carracedo et Robert Bahar, Clément Cogitore, Philippe Béziat et Milo Rau.

Enfin, une idée nouvelle s’installe dans la programmation : il s’agit du Souffle d’Avignon, cycle de lecture et mise en espace de textes d’auteurs vivants en collaboration avec les Scènes permanentes de la ville. Comme de coutume, le riche programme des Ateliers de la pensée permettra d’accompagner les journées du festival avec les réflexions des grands penseurs d’aujourd’hui.

Il nous reste à vous donner rendez-vous sur ces pages au mois de juillet pour retrouver et suivre cette 75e édition du festival d’Avignon qui renoue avec le questionnement philosophique, la polémique artistique et la remise en question de toute certitude acquise. En d’autres mots, avec l’art.

Festival d’Avignon 2021, 75e édition
« Se souvenir de l’avenir ».

Divers lieux : Avignon, Villeneuve-lès-Avignon, Vedène, Roquemaure, Vacqueyras, Rasteau, Aramon, Saint-Rémy-de-Provence, Saint-Saturnin-lès-Avignon, Sorgues, Rochefort-du-Gard, Courthézon, Châteauneuf-de-Gadagne, Caumont-sur-Durance, Bollène.
du 5 au 25 juillet 2021