De la sacerté

Pour son premier concert officiel, l’inattendu duo homophone franco-danois Gaspar Claus et Casper Clausen a conçu une soirée intimiste et réservée,  errant entre élégance et cauchemar dans un univers vaporeux et ineffable

C’était étrange de pénétrer dans la salle de l’Epicerie Moderne de Feyzin et de voir ses propres repères totalement dissous dans le noir. Référence capitale des concerts de l’agglomération lyonnaise, l’Epicerie est devenue, l’espace d’un soir, un lieu « autre », sorte de rendez-vous exclusif pour une soirée aux notes suspendues et abstraites. Nous voici accueillis autour d’un cercle magique, regroupé à l’intérieur du mondain afin de loger l’homo sacer. En guise de salutation de cette messe, la prêtresse Wendy Martinez, aka Bye Bye Dubai et ses compositions intouchables, petites perles délicates à la consistance vaporeuse. On l’avait déjà perçue long time ago, dans une soirée plus concrète, et c’était un plaisir inattendu de la retrouver ce soir, à l’intérieur de la zone de sacerté vespertine créée ad hoc.

Après la pause, paraissent sur scène – ou, mieux, dans le cercle – le duo aux croisements  homophoniques formé par Gaspar Claus au violoncelle et Casper Clausen à la voix et à la machine. Leur musique apparait immédiatement comme la jonction sensible et nue entre la légèreté du rêve et l’angoisse écrasante du cauchemar. Si Gaspar blesse la matière sonore avec son instrument afin de créer des trajectoires inquiétantes, Casper dessine des lignes de fuites fascinantes. Des échos lointains de Faust et Can, des sons naturels se mêlent aux sensations krautrock les plus sanglantes incrustées dans des plages sonores aux allures cosmiques. Des collages qui enfreignent le but de désorganisation pour montrer une surface étrangement homogène.

Des lumières fendent la scène : des sources clignotantes, des bougies électriques, des lucioles. Elles accompagnent l’élévation de cette musique qui semble faire résonner les mots du Christ à Marie Magdeleine : Noli me tangere. La femme aperçoit le Maitre ressuscité mais Jésus exhibe prioritairement son absence : « tu me vois, mais je ne suis plus de ce monde ». De la même manière, cette musique se dévoile devant nos yeux sans qu’on puisse la saisir. Elle flotte, non pas dans l’air mais entre deux dimensions, sans avoir subi la chute dans le mondain ni l’assomption définitive dans l’au-delà. Elle est suspendue, mais elle est absente. On retrouve des réverbérations de Sigur Rós et de Demetrio Stratos, des lambeaux de berceuses qui nous amènent jusqu’au non-lieu de légers chevrotements. Avec Channel, on la suit dans une petite virée folk nordique aux formules réitérées et surprenantes. La voix de Casper se réchauffe et semble se présenter comme le seul appui, agrégat so british qui seul peut nous sauver de l’étourdissement des allers-retours incessants des cordes.

La musique cesse, les musiciens franchissent la frontière de la zone sacrée et nous font rechuter dans le monde réel : le réveil brutal fonctionne comme un nécessaire zoom sur le travail accompli. Bien qu’il ait été produit il y a deux ans, le travail Claus&Clausen (Les disques du festival permanent, 2016) n’a pas fait l’objet d’une vraie présentation publique. C’est donc lors de cette soirée exceptionnelle que nous avons assisté à la tardive exposition de leur musique. Cette musique possédait déjà une forme, maintenant, elle a eu lieu : nous lui souhaitons qu’elle annonce la pérennité de l’évènement.

Le concert a eu lieu :
L’Epicerie Moderne
Place René Lescot – Feyzin
mercredi 11 avril 2018 à 20h30

L’Epicerie moderne et Rain Dog ont présenté :
Gaspar Claus et Casper Clausen (+ Bye Bye Dubai)

Set
1st Meeting
Little Girl
2nd Meeting
Lisboa
4th Meeting
The Machine
Outro/Impro
Channel
5th Meeting

www.epiceriemoderne.com
www.raindogprod.com