L’esprit démultiplié et omnipuissant de Gioachino

Jusqu’au 1er janvier 2018 l’Opéra de Lyon présente La Cenerentola de Rossini. Si Stefano Montanari soutient la composition avec brio et légèreté, Stefan Herheim conçoit des décors emboitables et une mise en scène que soulignent le jeu et la suite parfaite des événements qui amènent au triomphe de la bonté. E che trionfo sia !

La Cenerentola revient à Lyon après 17 ans d’absence et si en 2000 la direction avait été confiée à Evelino Pidò, pour clôturer cette année solaire, le choix est tombé sur l’extravagant et toujours extraordinaire Stefano Montanari. Et c’est sous ses ordres que l’orchestre se montre attentif et réactif, léger dans les symphonies comme dans les arie, loin de toute pomposité. Montanari ne se limite pas à respecter l’esprit rossinien mais il l’incarne, profondément, au point d’intervenir directement dans l’action pour empêcher le baiser entre Don Ramiro et Cenerentola (Acte I, scène 4), puis de jouer sur scène avec Don Magnifico avant de se faire remettre à sa place (Acte II, scène 1) et, enfin, pour chanter, remplaçant sans hésitation, Alidoro («Quel che consiglia il core», Acte II, scène 2).

Si l’influence du chef d’orchestre se fait sentir pendant tout l’opéra, celle de Stefan Herheim n’est pas des moindres. Le metteur en scène finnois retravaille le sentiment rossinien avec un très grand respect et le résultat est une mise à jour qui ne ridiculise pas l’histoire (pensons, par exemple, à ce qui s’est passé à Paris avec La Bohème de Claus Guth) et que, bien qu’elle soit loin d’être mémorable, elle est intelligente et élégante, capable de jeter un pont entre la tradition et le présent, sans aucun abus ou violences visuelles. Les décors de Unger et Herheim sont remarquables par leur capacité métamorphique et d’emboîtement : des modules légers et solides qui deviennent livres, colonnes, ou pièces extrêmement scorciate à tel point qu’elles provoquent des vertiges.

Rossini est partout, il est omniprésent et pas seulement à travers son esprit. L’opéra s’ouvre avec une petite Cendrillon des temps modernes, une femme de ménage, qui pousse son chariot de nettoyage (et qui deviendra un beau carrosse). Le compositeur descend du ciel comme un ange (il est pourvu même d’ailes) sur un petit nuage mécanique afin de donner vie à cette fable, à ce rêve dont la durée est strictement liée à sa présence sur scène. Tant qu’il est là, lui ou ses 25 réplicas, le songe prend vie et la bonté prévaut sur le reste mais, à sa disparition, tout s’efface. La dernière image de l’opéra pose un interrogatif sur la matière onirique de toute l’histoire et elle accompagne les paroles de Cenerentola (« Ah fu un lampo, un sogno, un giuoco / Il mio lungo palpitar ») : c’est donc toute l’histoire de sa libération qui est un rêve ou bien sa vie passée ? Le doute reste et Stefan Hermein démontre ici sa grande capacité à nous faire danser pendant trois heure dans l’insouciance la plus totale pour suspendre notre esprit avec une simple image en effacement.

Du côté des chanteurs, nous avons été conquis par Michèle Losier, une Cenerentola douce et forte, dont la voix sait appeler la venue de la lumière avec son entrée, effaçant rapidement l’odieuse présence de Clorinda et Tisbe. Son chant s’impose et émeut, grâce à cette texture umbratile ou à la puissance explosive qui fait honneur au belcanto. Rien ne trouble ce mezzo-soprano et sa diction est parfaite de la première scène (« Cenerentola vien qua ») jusqu’à la fin et l’ovation est plus que méritée.

La prestation de Cyrille Dubois dans Don Ramiro a été tout à fait convaincante grâce à un chant qui reste rossinien mais très moderne, fluide et ouvert.

Renato Girolami est un élégant Rossini mais aussi un détestable Don Magnifico. A cause de ces rôles, Girolami se trouve obligé de rester sur scène pour toute la durée de l’opéra et sa présence devient ainsi une preuve physique considérable. Les spectateurs réagissent à ses actions et à son déguisement rose shocking faisant de lui le plus rossinien des personnages de cette production. Une belle voix qui parcourt tout l’opéra, très appréciée bien qu’elle apparaissait un peu essoufflée vers la fin de la cavatina de la scène 2 du premier acte.

Très apprécié par le public (mais un peu moins par nous), le baryton biélorusse Nikolay Borchev a interprété le rôle de Dandini à la voix riche qui s’impose, accompagnant parfaitement le rôle du (faux) prince. Une diction pas tout à fait parfaite et quelques petits essoufflements en trop nous ont laissé une impression plutôt mitigée.

Équilibrée et légère, cette Cenerentola se révèle ainsi le cadeau parfait pour ces fêtes de fin d’année.

Spectacle vu le 28 décembre 2017

Le spectacle a lieu :
Opéra de Lyon
1 Place de la Comédie – Lyon
vendredi 15, mardi 19, jeudi 21, samedi, mardi 26, jeudi 28 et samedi 30 décembre 2017 à 19h30, dimanche 17 décembre à 16h, lundi 1er janvier 2018 à 16h

L’Opéra de Lyon, en coproduction avec l’Opéra d’Oslo, présente
La Cenerentola, ossia la Bontà in trionfo
melodramma giocoso en deux actes, 1817
livret de Jacopo Ferretti
en italien
nouvelle production
direction musicale Stefano Montanari
mise en scène Stefan Herheim
décors Daniel Unger, Stefan Herheim
costumes Esther Bialas
lumières Phoenix (Andreas Hofer)
dramaturgie Alexander Meier-Dörzenbach
vidéo fettFilm (Momme Hinrichs, Torge Möller)
chef des chœurs Barbara Kler
orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon

Don Ramiro Cyrille Dubois
Dandini Nikolay Borchev
Don Magnifico Renato Girolami
Clorinda Clara Meloni
Tisbe Katherine Aitken
Angelina sous le nom de Cenerentola Michèle Losier
Alidoro Simone Alberghini

durée : 3h avec entracte

www.opera-lyon.com