De la confrontation horizontale à la verticalisation extatique

Le public lyonnais avait découvert l’univers de Oona Doherty lors de la dernière Biennale de la danse en 2018 quand sa pièce, Hard to be soft, avait conquis le public et la critique. Deux ans plus tard, la chorégraphe et danseuse nord irlandaise a donné rendez-vous à ses admirateurs à l’Espace Albert Camus de Bron pour présenter son dernier travail, Lady Magma.


Interrogée sur sa généalogie, Oona Doherty parle d’« une forme de lutte » qui était présente dans ses autres pièces et qui perdure ici, « mais avec plus de douceur ». Pourtant, il est difficile de la voir car, ici, la lutte est littéralement ce qui disparait entièrement. Lady Magma nous semble être plus une question de rituel que de lutte, de danse extatique que de confrontation, soit-elle physique ou mentale. Ce n’est pas une question de genre, comme elle semble le définir dans l’entretien qui accompagne la pièce. « Alors que mes premières pièces étaient une sorte d’étude de la masculinité, j’avais envie de me tourner vers la féminité ». Un très intéressant débat aurait pu s’engager sur cette opposition masculin/féminin mais la question est comme dépotentialisée par  une forme d’abandon. Ce que nous avions aimé dans le merveilleux Hard to be soft était la radicale prise de position à l’intérieur de la structure masculine, où le corps de Oona assumait, sans aucune médiation, une possession totale d’un langage considéré comme l’apanage exclusif des hommes. La pièce se révèle immédiatement anguleuse, puissante, dure. Le langage de la rue, la violence explicite incarnée par tout rapport avec l’autre, étaient mis au pilori par Oona à travers une opération de mimétisme extraordinaire. Le masculin subissait, finalement, la même violence qu’il impose universellement à travers son pouvoir. Cette démarche ébranlait profondément ce même pouvoir politique, social, économique et religieux imposant un point de pression révolutionnaire à l’intérieur du mimétisme, comme une action de révolte, assumée et réalisée dans le secret de l’ἴδιος. Puissance et radicalité d’une évagination idiosyncratique.

Lady Magma se place très loin de cette réflexion. Oona accueille le public amassé devant l’entrée de la salle en aspergeant un parfum extrêmement fort comme pour installer, d’ores et déjà, un mouvement orphique à son spectacle. Puis, elle monte sur le comptoir non pas pour introduire les spectateurs à la thématique de la pièce mais pour agir, insistant sur l’idée que celle que nous regardons, celle que nous « vivons », c’est déjà le spectacle. Pour alimenter la simultanéité des perceptions, Oona agrémente son allocution d’une invitation au boire et une boisson alcoolisée est  alors distribuée à l’auditoire. Une véritable première partie, et non seulement une simple présentation, se déroule dans un contexte atypique suivie par la véritable installation du public dans la salle et sur la scène, comme pour former un cercle démocratique et décontracté typique d’une époque malheureusement déjà oubliée. Nous voici plongés dans une ambiance feutrée et chargée d’érotisme. Une esthétique hyper kitsch, très années 1970, envoûte la salle et Oona laisse immédiatement la place à ses cinq danseuses. Malgré cette tension bien construite, la deuxième partie du spectacle s’avère assez décousue et peu concluante. Partant de l’idée du plaisir féminin, les mouvements des danseuses se construisent sur les lignes de puissance créées par cette cause déclencheuse. La figure de l’homme est non seulement mise de côté, mais bannie (et cela est plutôt positif) et l’attention peut se concentrer complètement sur ce gynécée festif.

Oona Doherty exploite les catégories du dionysiaque et du tribal pour bâtir une pièce liquide, impossible à figer dans une image, capable de se faufiler et d’échapper aux réflexions. Lady Magma s’avère être, tout simplement, une danse panique pétrie d’un érotisme idiotique, une célébration de la profondeur bouleversante du plaisir et des formes invisibles et puissantes des femmes. Un spectacle jouissif et joyeux marquant, peut-être, un instant de pause, de reprise du souffle dans la trajectoire engagée de la jeune et prometteuse chorégraphe nord irlandaise. La lutte dépose ses armes pour un regard majoritairement axé sur une glorification féminine et pour une action de positivisation pure, dépourvue de toute confrontation : le mouvement horizontal laisse sa place à la verticalisation.

Le spectacle a EU lieu :
Espace Albert Camus
1 Rue Maryse Bastié – Bron
lundi 9 et mardi 10 mars 2020

dans le cadre du
Festival Sens Dessus Dessous
du lundi 9 au mercredi 25 mars 2020
à la Maison de la danse de Lyon, à l’Espace Albert Camus à Bron et à Bonlieu – Scène Nationale d’Annecy

La Maison de la danse, en complicité avec Pôle en Scènes – Espace Camus|Pôle Pik, a présenté :
Lady Magma
2019
direction et chorégraphie Oona Doherty
avec Oona Doherty, Louise Tanoto, Janie Doherty, Aoife McAtamney, Keren Rosenberg, Justin Cooper
création lumière et scénographie Claran Bagnall
création son David Holmes
création vidéo Lucas Truffarelli
crédit photographique Lucas Truffarelli
production Oona Doherty Dance, Prime Cut Productions
coproduction La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne ; Atelier de Paris / CDCN ; Espaces Pluriels scène conventionnée d’intérêt national danse, Pau ; Maison de la Danse, Lyon ; Pôle Sud CDCN Strasbourg ; Le Pacifique CDCN, Grenoble ; L’Avant-Scène Cognac, ; Belfast International Festival ; British Council.

www.maisondeladanse.com