L’habit ne fait pas la nonne

Délicat, drôle et léger, Le Domino Noir d’Auber selon Lesort et Hecq, conquiert l’Opéra-Comique. Si la mise en scène approfondit l’imaginaire fantastique de ce vaudeville, les chanteurs se laissent porter dans une étrange et tournoyante esthétique entre steampunk et Disney. Et le résultat est assez convaincant

Parmi les œuvres les plus représentées lors de son vivant (et jusqu’aux débuts du XXe siècle), Le Domino Noir de Daniel-François-Esprit Auber peut se vanter du livret d’Eugène Scribe, dont la beauté et légèreté sont encore fort bien saisissables aujourd’hui. Les paroles de la pièces, accompagnées par une musique pétillante et fraiche, s’ensuivent à la recherche d’un happy ending qui semble pourtant être loin de se laisser atteindre. Le mariage parfait entre la composition d’Auber et celle de Scribe donne lieu à un opéra-comique parmi les plus couronnés de son époque qui, après l’exhumation effectuée par l’Opéra Royal de Wallonie de Liège, retrouve l’institution qui vit sa création dans une mise en scène convaincante. L’Opéra-Comique de Paris reconquiert donc cette petite perle oubliée d’Auber à laquelle Valérie Lesort et Christian Hecq donnent une forme profondément fantastique qui s’insère quelque-part entre le monde Disney et le steampunk. Dans cet univers, l’ornement est ponctuel et significatif, lieu de vibration anachronistique, ouverture tonique. La grande salle de bal dissimulée derrière la monumentale horloge laisse rapidement la place à des structures sévères cachant des petites mouvements comiques. Les décors de Laurent Peduzzi visent à une solidité qui s’effrite sous les coups d’inattendus battement hilarants, comme dans le triste couvent gothique ouvert par un télamon et une cariatide très classiques qui prennent vie, plongeant la scène dans l’absurde.

La mise en scène ne cherche pas le rire facile, immédiat, mais crée l’ironie à travers des décalages millimétriques du sens et le versant visuel suit, tout simplement, cette démarche de philosophie théâtrale. Le travail sur ce mimétisme est fin et recherché, loin de toute vulgarité expressive. C’est seulement si l’on comprend cela, ce minutieux travail de décalage du sens et du visuel, que nous pouvons rester conquis par les mouvements et par le rire du cochon prêt à être mangé. La sensuelle ronde aragonaise dansée et chantée par Angèle insuffle une beauté inattendue dans la salle à manger et le fait que le cochon revienne de la mort pour danser et se laisser enchanter par la beauté d’Angèle est une claire modalité de cette création vitale.

Le chef Patrick Davis a dirigé un très bon Orchestre Philarmonique de Radio France, attentif et parfois exubérant, mais sans que cela puisse déranger les auditeurs. Ses chanteurs sont au rendez-vous et nous avons étés doucement séduits par les choix vocaux de cette nouvelle production de l’Opéra-Comique. Anne-Catherine Gillet a su sculpter en orfèvre son Angèle avec une voix délicate et élégante. Symbole de l’amour et de la pureté, elle sait dévoiler un côté sensuel (la ronde aragonaise dans le deuxième acte) en affirmant son rôle de pure douceur et de vie, atteignant la perfection dans l’air Je suis sauvée enfin.

Nous saluons la prestation de Cyrille Dubois dans le rôle de son amant Horace. Sa voix caresse et se marie parfaitement à celle de l’aimée, se montrant dans une élégance simple et captivante.

Très intéressante aussi l’interprétation d’Antoinette Dennefeld comme Brigitte, la très bonne amie d’Angèle. Avec plus de caractère que sa complice, dans les duos elle doit contenir la force de son chant pour ne pas perturber celui d’Angèle. Sa présence marque tout le premier acte et son absence, dans le deuxième, ne passera pas inaperçue. Mais une autre présence féminine s’imposera alors : c’est celle de Jacinthe, la gouvernante de Juliano. Le traitement vocal que lui donne la mezzo Marie Lenormand est extraordinaire, léger malgré une présence scénique débordante. Ses interventions sont le sommet comique de la pièce et le deuxième acte lui est en grand partie consacré.

François Rougier se montre très à l’aise dans son Juliano et Laurent Montel propose un parfait Lord Elfort, macchietta anglaise qui attire toute antipathie possible.

Un dernier mot sur les costumes de Vanessa Sannino. La créatrice italienne a conçu de habits inspirés du monde animal et végétal, dont la signification visuelle est immédiate sans être banale. Ces métaphores n’alourdissent pas les mouvements des chanteurs, rajoutant, en revanche, une identification conséquente très contemporaine.

Spectacle vu le 30 mars 2018

Le spectacle a lieu :
Opéra-Comique – Salle Favart
1 place Boieldieu – Paris
lundi 26, mercredi 28, vendredi 30 Mars 2018 à 20h00, dimanche 1 Avril à 15h00, mardi 3 et jeudi 5 Avril à 20h00

L’Opéra-Comique, en co-production avec l’Opéra Royal de Wallonie de Liège et l’Opéra de Lausanne, ont présenté :
Le Domino Noir
de Daniel-François-Esprit Auber
opéra-comique en trois actes
livret d’Eugène Scribe
créé le 2 décembre 1837 à l’Opéra-Comique
direction musicale Patrick Davin
mise en scène Valérie Lesort, Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française
chorégraphie Glyslein Lefever
décors Laurent Peduzzi
réalisation marionnettes Valérie Lesort et Carole Allemand
costumes Vanessa Sannino
lumières Christian Pinaud
concepteur son Dominique Bataille
assistant musical et chef de chœur Christophe Grapperon
assistant mise en scène Laurent Delvert
assistante décors Valérie Martin
assistante costumes Sylvie Barras
chef de chant Marine Thoreau La Salle

Angèle de Olivarès   Anne-Catherine Gillet
Horace de Massarena   Cyrille Dubois
Brigitte de San Lucar   Antoinette Dennefeld
Comte Juliano   François Rougier
Jacinthe   Marie Lenormand
Gil Perez   Laurent Kubla
Ursule   Sylvia Bergé
Lord Elfort   Laurent Montel
La Tourière   Valérie Rio
Melchior   Olivier Déjean

danseurs Anna Beghelli, Sandrine Chapuis, Margaux Dufour, Mikaël Fau , Gaëtan Lhirondelle, Guillaume Rabain
choeur Accentus
orchestre Orchestre Philharmonique de Radio France

durée 2h25 entracte compris

www.opera-comique.com