Noir Bashung

Maison De La DanseRencontre au sommet entre Gainsbourg, Bashung et Gallotta, la reprise de L’homme à tête de chou à la Maison de la danse de Lyon est un moment de déstabilisation du bon sens et des valeurs acquises, ouvrant sur l’érotisme de l’absence

Il existe une couleur qui est un état d’esprit, un univers musical, une saveur unique en son genre. Elle évoque des terres arides et des passions charnelles, une horizontalité lyrique et une verticalité musicale, l’exigence de la forme et des hauteurs poétiques inaccessibles. Il s’agit du noir Bashung. Plus dramatique (au sens étymologique) que le bleu Klein, cette couleur teinte toute la discographie du génie de la musique française, veinant des albums comme Figure imposée, Novice, Fantaisie militaire ou  Bleu Petrole. Son opus posthume respecte et, à sa manière, éternise cette sensation lyrique et sombre, créant une trame complexe, là où les mailles laissent passer des corps et des formes.

L’homme à tête de chou est une confrontation corps-à-corps avec la légende Gainsbourg. L’album scandaleux qui se trouve au cœur du travail de Bashung et de Gallotta, sort en 1976 et rencontre un très grand insuccès critique et publique. Sa consécration sera tardive et cet anachronisme semble agir comme une puissance prophétique au sein de l’œuvre. C’est à partir de cet album que le chorégraphe Jean-Claude Gallotta décide de concevoir un spectacle-hommage à Gainsbourg et qui se révèlera, malgré lui, un double hommage : Bashung reprend en effet l’album de son confère mais sa mort le 14 mars 2009, l’empêchera d’achever son travail et de pouvoir être sur scène pour la création (qui aura enfin lieu le 12 novembre de la même année à la MC2 de Grenoble). Le corps-à-corps de l’album se problématisera ainsi à travers un travail chorétique se déroulant autour de l’absence, une absence concrétisée par Gallotta dans l’image de la chaise vide accompagnant tous les cadres et les actions des douze danseurs sur scène.

La pièce éponyme en ces jours à la Maison de la danse de Lyon n’est en revanche pas la même de 2009, mais une re-création de l’année précédente. Anachronisme, hommage, reprise : trois concepts qui semblent émerger sans arrêt ici pour lire et relire une œuvre séminale loin d’être épuisée. L’univers poétique, radical, incompris de Gainsbourg traverse la reprise de Bashung et ce dernier ne facilite aucunement une meilleure compréhension de l’œuvre d’origine. Bashung semble vouloir restituer à cet étrange album traversé par une métamorphose animale et démoniaque, l’opacité que le succès (tardif) a voulu menacer : le double registre de la voix et de la musique s’inscrit dans la recherche d’un sens propre à chaque élément, fuyant la clarté mais jamais la lucidité.

Sur cette sédimentation exquise, Jean-Paul Gallotta conçoit un mouvement incessant de vas-et-viens, des lignes de force acuminées qui sabrent la scène et caressent la musique. Cette oscillation à double tranchant s’effectue grâce à la sublimation du désir, un passage à l’acte convertissant le fond chaosmotique désirant en fente qui blesse et en geste qui élève. Le travail de création de Gallotta est une fine pratique de l’essentiel et de l’érotique. Les références manifestes à la communauté érotique gainsbourienne sont intégrées dans une structure d’entrecroisements corporels bénis par le regard invisible de Bashung. Dans L’homme à tête de chou il est question de la rencontre et de la compénétration de plusieurs géants de la parole et du geste, du mouvement permanent de l’éros dans le corps, du questionnement résolu de la poésie, de l’absence bruyante et de l’héritage incommode de l’art français. Un geste pathétique, nourrissant, inscrit dans l’univers dérangeant et précieux de Jean-Claude Gallotta.

Le spectacle a lieu :
Maison de la danse
8 Avenue Jean Mermoz – Lyon
du mardi 11 au vendredi 14 février 2020

La Maison de la danse présente :
L’homme à tête de chou
Groupe Emile Dubois/Cie Jean-Claude Gallotta
2009 / Recréation 2019
12 danseurs
chorégraphie Jean-Claude Gallotta
paroles et musiques originales Serge Gainsbourg, version enregistrée pour ce spectacle par Alain Bashung
orchestrations, musiques additionnelles, coréalisation Denis Clavaizolle
assistante à la chorégraphie Mathilde Altaraz
dramaturgie Claude-Henri Buffard
mixage et coréalisation Jean Lamoot
costumes Marion Mercier assistée d’Anne Jonathan et de Jacques Schiotto
crédit Guy Delahye

production Groupe Émile Dubois / Cie Jean-Claude Gallotta,
coproduction Le Printemps de Bourges – Crédit Mutuel ; Maison de la Culture de Bourges / Scène Nationale ; Théâtre du Rond-Point ; CPM – Jean-Marc Ghanassia ; avec le soutien de La MC2: Grenoble

www.maisondeladanse.com