Habiller la nuit d’un voile décadent

Après le concert de l’année précédente au Liberté, Marquis de Sade, mythique groupe de la scène rennaise, remonte sur scène pour le festival des Nuits de Fourvière de Lyon et retrouve l’esprit égaré, dans une fin trop précoce, de la tentative d’un rock gothique et brut en France

Les Nuits de Fourvière nous ont habitué à des concerts mythiques et à des évènements plebiscités, mais nous réservent également de véritables surprises. Le choix d’opter pour la petite scène du parc archéologique de Fourvière s’est révélé idéal pour accueillir la réapparition d’un groupe culte malgré son passage éphémère sur les scènes françaises à cheval entre les années 70 et 80 : Marquis de Sade a livré un concert à la fois intimiste et intense, ravissant l’auditoire de l’Odéon.

La soirée s’était ouverte avec le plutôt décevant italo-français Fabio Viscogliosi, auteur d’un slow-rock auto-complaisant qui a tenté l’approche avec Lucio Battisti, échouant quelque part entre Adriano Celentano, Bobo Rondelli e I Ribelli (sans la stature du premier, l’ironie du deuxième ou la puissance des troisièmes). Jonglant parfaitement entre italien, anglais et français, le rital d’Oullins semble vouloir proposer une plongée dans l’univers des années 60, mais sans convaincre, dans un set très (trop) lent.

Les rennais, qui avec seulement deux albums parfaits (Dantzig Twist (EMI, 1979) et Rue de Siam (EMI, 1981)), sont entrés de plein droit dans l’Olympe de la musique française, étaient donc attendus. L’ouverture, avec Set in Motion Memories et Henry, est instantanément saisissante : la voix unique de Philippe Pascal se fond dans un tremulo inquiétant et émouvant, conquiert immédiatement et subjugue l’auditoire. Une sémantique Pink Floyd, unie à la fascination d’un Bowie, mêlée à l’immédiateté brute des Velvet Underground, marque ce (nouveau) début de l’histoire du groupe. Le rock se précise dans Henry, grâce aux deux guitares acérées de Frank Darcel et de Frédéric Renaud. Who Said Why? s’enfonce dans irrémédiablement dans l’obscurité, dans une proximité remarquable avec Ian Curtis et sa créature. Après trois morceaux seulement, la sensation que le panthéon musical convoqué par Marquis de Sade n’est pas une simple évocation, mais également une véritable invocation de liens plus intimes et d’une mise à jour ponctuelle et poignante de toute la scène française, fait surgir en nous une question cruelle : pourquoi seulement deux albums ? La suivant Final Fog semble nous livrer réponse : tout était déjà dit, fait, ouvert et conclu ici, dans quelques bribes sonores, où le gothique et le post-punk naissent et meurent, dans un cri sourd livré à sa fin. Boys Boys résonne comme un appel au calme entre Velvet Underground et Rolling Stones, Air Tight Cell (premier titre enregistré en 1978) recompose l’instant originaire de Marquis de Sade, agrémenté par un sax qui anticipe les folies de John Zorn et perdure dans la suivante Rue de Siam, vagabondage aux limites entre jour et nuit, comme posé sur la ligne qui les sépare dans un coucher de soleil tant éphémère qu’infini. On pense au sens de la décadence que l’on retrouve aujourd’hui dans l’univers sonore neo-folk de ROME.

Nacht Und Nebel semble le résultat d’un très bruyant accident entre Pere Ubu et un punk qui ne veut pas mourir. Skin Disease pourrait avoir été écrite hier, dans le sillage des Pixies, mais aussi de Dylan Thomas et Cramps. L’atmosphère oppressante de Silent World parait se répéter à l’infini, tel un rituel hypnotique et tragique, une transe maniaque étouffant toute volonté ; purifiante, enfin, dans la noirceur du seul univers désormais acceptable.

Le concert s’achève sur trois perles : le sexe SM de Wanda’s Loving Boy, le ton déclamatoire de Walls et l’univers gothique – et pourtant si caressant – du Cabinet du docteur Caligari de Conrad Veidt.

Les rappels nourris ramènent le groupe sur scène pour quatre morceaux (parmi lesquels une très belle reprise de White Light/White Heat de Velvet Underground, l’indication donnée à la technique étant « le deuxième 45 tours de ma petite sœur »), et fait perdurer un moment d’extase rock que le public conquis semble ne pas vouloir voir s’achever : les voir évoluer sur scène était un rêve inespéré pour les anciens fans et un désir informulé pour ceux qui n’ont pas vécu la mini-épopée du Marquis dans les années 79-81.

Le spectacle a eu lieu :
Odéon – Parc Archéologique de Fourvière
6 rue de l’Antiquaille – Lyon
lundi 25 juin 2018 à 20h30

Le festival Les Nuits de Fourvière a présenté
Marquis de Sade + Fabio Viscogliosi

Set
Intro : “Lamentatio” d’après le “Dies Irae” de Krzysztof Penderecki
Set in Motion Memories
Henry
Who Said Why?
Final Fog (Brouillard Définitif)
Boys Boys
Smiles
Air Tight Cell
Rue de Siam
Nacht Und Nebel
Cancer and Drugs
Skin Disease
Silent World
Wanda’s Loving Boy
Walls
Conrad Veidt

Encore I
White Light/White Heat
Henry

Encore II
Skin Disease
Who Said Why?

www.nuitsdefourviere.com