Expier, la mort

La Maison de la danse retrouve la compagnie bruxelloise Peeping Tom pour le deuxième chapitre d’une trilogie consacrée à la famille. Entre Matthew Barney et Romeo Castellucci, voici Moeder, drame familiale qui plonge dans la muséification d’une condamnation mortelle

Le lieu de Moeder est un lieu de dispositifs de captation et de minéralisation du vivant. À l’ouverture des rideaux, nous assistons à la mort de la mère du titre, un événement qui mérite d’être capté et rediffusé, amplifié à l’extérieur de ce studio d’enregistrement, transformé pour l’occasion en funérarium. Avec la mort de la mère, c’est un complexe système de croisements temporels qui s’active pour construire celui que l’on pourrait définir comme une « tragédie comique absurde et inquiétante ». La muséification de la maison maternelle ne neutralise pas la prédiction de la mère envers la petite-fille qui est encore dans le ventre. L’accouchement sera difficile et la petite se verra obligée de rester dans une couveuse, dispositif de sauvetage et de négation de la proximité, de vie et d’étouffement.

Les superpositions temporelles, formées par des croisements d’images du passé et du futur, produisent de véritables anachronismes. La conséquence la plus immédiate et physique est constituée par un dépôt temporel : voici que la poussière, phénomène impalpable et invisible, s’accroche et s’insinue partout, sur les tableaux de la famille qui repent un passé que nous ne connaissons pas, sur les objets devenus des œuvres d’art, ou sur les personnages de la pièce. Ce monde poussiéreux est un monde qui vit sous l’emprise d’un passé échoué sur le présent, condamné à souffrir, à saigner, sans pouvoir échapper et, finalement, avancer.

Dans ce monde, nous retrouvons une danse qui s’approprie du langage du théâtre. Mais quelque chose ne se résume pas à ce discours, quelque chose ne se résorbe pas. Ce « quelque chose » constitue le reste, l’ « excès » qui demeure et perdure. Il s’agit d’un frémissement, une vibration nerveuse et indéfinissable. Les corps sont traversés pas cette secousse imprévisible : ce résidu est le propre de la danse de Moeder, son noyau expulsé, la vraie raison que l’on n’entend pas. Dans la tragédie de l’histoire de la pièce, les corps apparaissent comme la seule matière vivante et fiable, et peu importe qu’il s’agisse d’une petite accolade romantique ou d’un excessif, débordant et hilarant rapport sexuel avec une machine à café. Les corps peuvent atteindre un niveau d’ironie et de bouleversement extrême. Mais nous devons avoir toujours confiance en eux. C’est là, dans le toucher entre deux corps, que la pièce touche à sa fin et trouve sa résolution. Le drame résout la condamnation qui hantait toute la famille, avec la réconciliation finale, violente : la grand-mère et la petite fille se rencontrent pour la première fois, nues, dans l’au-delà, parmi des cris démoniaques. Une image transcendante.

Le spectacle a eu lieu :
Maison de la Danse
8 avenue Jean Mermoz – Lyon
mercredi 13 septembre 19h30, jeudi 14 septembre 20h30

La Maison de la danse a présenté
Moeder
concept et mise en scène Gabriela Carrizo
production Peeping Tom
aide à la mise en scène et dramaturgie Franck Chartier
création et interprétation Eurudike De Beul, Maria Carolina Vieira, Marie Gyselbrecht, Brandon Lagaert, Hun-Mok Jung, Yi-Chun Liu, Simon Versnel, Charlotte Clamens
figurants Jean Bailly, Sadia Djafar, Adèle Garcier, Danielle Gillouin, Daniel Lachenal, Sandrine Lamure
assistance artistique Diane Fourdrignier
composition sonore et arrangements Raphaëlle Latini, Renaud Crols, Glenn Vervliet, Peeping Tom
mixage audio Yannick Willox, Peeping Tom
conception lumières Giacomo Gorini, Amber Vandenhoeck
costumes Diane Fourdrignier, Kristof Van Hoorde (stage), Peeping Tom
conception décors Amber Vandenhoeck, Peeping Tom
construction décors KVS-atelier, Peeping Tom
direction technique Filip Timmerman
ingénieur lumière Amber Vandenhoeck
ingénieur du son Hjorvar Rognvaldsson
vidéo répétitions Sulok Swablamban (stage), Gaspard Rozenwajn
entraîneur bruitage Elias Vervecken
chargée de production Anastasia Tchernokondratenko
chargée de tournées Lulu Tikovsky
directeur administratif Quentin Legrand
communication et presse Sébastien Parizel
coproduction Theater im Pfalzbau – Ludwigshafen, Taipei Performance Arts Center – Taiwan, KVS / Théâtre Royal Flamand – Bruxelles, Grec Festival de Barcelona / Mercat de les Flors – Barcelone, HELLERAU / European Center for the Arts – Dresden, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Maison de la Culture – Bourges, La Rose des Vents – Villeneuve-d’Ascq, Festival Aperto / Fondazione I Teatri – Reggio Emilia, La Bâtie Festival – Genève. Diffusion Frans Brood Productions. Moeder bénéficie du soutien des Autorités flamandes ainsi que du Theater im Pfalzbau – Ludwigshafen et Taipei Performing Arts Center – Taiwan, partenaires principaux de la trilogie Vader, Moeder, Kind. Remerciements Alexandre Obolensky, Jean-Philippe Altenloh, Romy Beni, Heidi Ehrhart, Ina Peeters, Elias Vervecken, François Heuse, Théâtre Froe Froe

www.maisondeladanse.com
www.peepingtom.be