Tentative de soustraction

UnnamedLa Maison de la danse de Lyon a accueilli Thierry Malandain et sa compagnie pour clôturer la fin de l’année. Noé n’est pas un récit biblique ou un conte imaginaire mais le trait qui les sépare, la cicatrice qui les unit.

Un conte. Thierry Malandain dans son Noé nous livre un conte « réel » et bien que s’inspirant du texte biblique, le chorégraphe se maintient en deçà de la réalisation visuelle du récit originel, comme dans une hésitation. Pourtant dans cette pièce rien ne semblerait prendre la forme d’une suspension vers la réalisation.

Nous avons d’une part le récit biblique, l’investissement divin de la tâche du patriarche et de son trajet périlleux – qui porte la marque de l’infini malgré la définition précise du périple (les 40 jours de la durée du déluge). De l’autre, nous rencontrons un travail historique propre à la danse, une immersion dans les formes « classiques » si chères à Malandain, pour atteindre un éloignement du Texte : il s’agit dans son travail de chercher une dimension qui précède la forme accomplie de l’écriture sacrée pour en restituer un possible, une autre stratification qui n’a jamais eu lieu. C’est à partir de cette perspective que nous abordons la création de 2017 du chorégraphe normand à la Maison de la danse de Lyon. Dans Noé nous reconnaissons les personnages, les animaux, les actions du récit, mais quelque chose s’échappe d’une simple et hypothétique retranscription artistique. Le travail de Malandain effectue une soustraction envers l’encombrant texte pour un soulèvement actuel, le préservant du caractère de définition ponctuelle : une double soustraction à l’histoire, celle de la Bible et celle de notre monde. A travers ce geste libératoire, Noé peut s’exprimer sans faute, dans une liberté totale et nouvelle. L’aspect grandiose de la Messa di Gloria de Rossini n’ajoute rien à cette liberté : il construit un espace parcourable situé à côté de la pièce, en parallèle, sans qu’il y ait aucun croisement de sens mais seulement un jeu de renvois magistralement dirigé.

La pièce évolue dans une lumière fixe, totale. Une lumière loin du divin, produit d’un phénomène atmosphérique traçant l’espace vital de l’action et permettant aux lignes claires et nettes formées par les danseurs de se déployer dans un territoire. Les grands rideaux bleu turquoise définissent ainsi l’espace de lumière. Entre ces trois murs, les danseurs agissent dans une perpétuelle recherche de sens à travers une combinatoire sérielle, répétée, définie, parfaite. L’arrivée d’Adam et d’Eve sur le Qui tollis est l’un des moments les plus intenses de cette combinatoire.

Dans cette composition agit d’avantage une autre force : celle de la communauté que nous voyons se déployer sous nos yeux, à travers les divisions, les croisements, les (bien) définies combinaisons du possible, et qui maintient un volume précis, l’intensité spatiale du corpus. Cette présence est celle de l’humanité entière, globale et exhaustive, et non celle d’une communauté singulière.

La soustraction envers le référent permet à Malandain d’esquisser l’absolu de l’homme, l’ensemble d’une communauté universelle. Noé incarne la rupture avec la Tradition car le renouvellement de l’homme ne peut naitre que de l’eau et non pas de la terre. L’eau dont il question n’est pas celle terrifiante de la mer, imprévisible et dangereuse, mais celle bénéfique et purifiante de la pluie. Le tracé (multiple, infini) de Malandain est un trait vertical et non pas horizontal, celui qui relie terre et ciel et non deux terres entre-elles. La circularité de la communauté universelle se pose ici sur les trajectoires des gouttes de pluie et sur la coupure du monde physique qui la maintient dans une suspension entre cette Terre-là et le Ciel. Ainsi, la forme assumée par la pièce ne peut-elle se résumer à une définition mesurée et mesurable de notre contemporanéité : elle se tient dans un rapport avec cette même contemporanéité pour lui donner une chance, une vision. Saisir cette image ne relève pas d’une volonté de changement du présent car elle possède un autre horizon : celui d’une révolution profonde de l’intérieur.

Le spectacle a eu lieu :
Maison de la Danse
8 avenue Jean Mermoz – Lyon
du mardi 18 au samedi 22 décembre 2018

La Maison de la danse a présenté
Noé
Thierry Malandain/Malandain Ballet Biarritz
2017
22 danseurs
chorégraphie Thierry Malandain
musique Gioacchino Rossini, Messa di Gloria, 1820
décors et costumes Jorge Gallardo
conception lumière Francis Mannaert
réalisation costumes Véronique Murat
conception décor Frédéric Vadé
crédit photographique Olivier Houeix
coproduction Chaillot – Théâtre national de la Danse, Paris, Opéra de Saint-Étienne, Donostia Kultura – Teatro Victoria Eugenia de Donostia / San Sebastián, Ballet T – Malandain Ballet Biarritz / CCN de Nouvelle-Aquitaine en Pyrénées-Atlantique.Partenaires Opéra de Reims, Théâtre de Gascogne / le Pôle, Theater Bonn, Forum am Schlosspark – Ludwigsburg

Durée 1h10

www.maisondeladanse.com
malandainballet.com