Evocations et passages liminaires

Rain DogCe vendredi 6 mars Piers Faccini s’est produit pour la troisième fois au Temple Lanterne de Lyon dans un concert entièrement acoustique : l’ « épreuve de délicatesse » renouvelée d’un musicien d’une rare beauté.

20h30, Temple protestant de rue Lanterne, Lyon. Piers Faccini, accompagné par Anne Gouverneur au violon et Maeva Le Berre au violoncelle, fait son entrée sur la petite scène installée sur l’autel principal. Quelques secondes plus tard, Piers entame une promenade dans l’obscurité et sa voix commence à remplir l’espace de la salle. Aucune parole n’accompagne cette introduction saisissante et les auditeurs sont immédiatement enveloppés par sa chaleur vocale dont la fonction semble s’approcher de celle d’un rite liminaire, moment de passage entre deux mondes. Une entrée conçue et réalisée dans la plus grande délicatesse où le musicien paraît se mouvoir entre les rôles de pasteur, chamane et cantor médiéval. Le rite de passage parvient parfaitement à son but et, sans solution de continuité, nous glissons à l’intérieur des mélodies de Black Rose. C’est la première fois que nous assistons à un concert de l’artiste londonien dans cette formation et la nudité radicale de sa musique semble ici se charger d’une modalité où chaque son acquiert encore une plus grande épaisseur, une tridimensionnalité à découvrir. L’apport du violon et du violoncelle nourrissent les perles esthétiques de Faccini du mouvement typique des vagues et le tout demeure sous la protection d’un voile mélancolique. Cette houle peut nous apporter des échos de terres lointaines et des sonorités enivrantes comme dans To be Sky, ou nous prendre par la main pour une douce balade comme dans Could Have Been You, premier morceau de son dernier EP, Hear My Voice (Beating Drum, 2019). La soirée est donc l’occasion de présenter ce 12’’ qui nous permet de patienter jusqu’à la fin de l’année, quand paraitra Shapes of the Fall, septième album de ce délicat crooner anglais de naissance mais de cœur italien. Le concert nous permet cependant de faire aussi un survol de toute la discographie de Faccini, à travers des moments choisis avec soin, mais différemment habillés ce soir, comme le savant mélange entre douceur, légèreté et mélancolie de Two Grains of Sand, le questionnement de Strange Is The Man qui devient vocalise inquiétante comme le chant des sirènes, ou le blues résigné de Each Wave That Breaks.

La verticalité de Broken Mirror s’enrichit grâce aux voix de Anne Gouverneur et de Maeva Le Berre et le résultat apparait comme une élégante danse esthésique. Avec Comets nous retrouvons l’horizontalité du voyage et les cordes apportent un vent chaud oriental qui souffle entre les espaces étroits de la composition. La beauté décadente de Hope Dreams nous accompagne dans la vallée de l’espoir et de l’échec, là où le génie rencontre le réel, sans s’attaquer à l’onirisme qui l’emporte toujours.

Piers Faccini sait manier l’art de l’enchantement et ce soir il le démontre une fois de plus. La soirée est parsemée de petites anecdotes sur les accordages si particuliers qui influencent ses compositions et l’atmosphère magique et atrabilaire. Comme Nick Drake, il lui faut du temps entre un morceau et l’autre : ce temps n’est jamais un temps vide mais un instant chargé de tension et d’attente qui se transforment en fatalisme positif quand sa voix revient faire vibrer l’air du temple.

Le set principal s’achève sur The Beggar & the Chief, tiré du magnifique My Wilderness (Tôt ou tard, 2011) avant de laisser la place à deux splendides rappels. Angel of Mercy, qui parait sur Hear my Voice, est un morceau « très triste, et c’est pour ça que je vais en jouer un autre, toujours triste, mais moins », et nous retrouvons ici un éloge de la quotidienneté la plus simple, entre Carver et Hopper, à partir de laquelle un élan métaphysique s’élève, tel une prière vers l’« ange de la Miséricorde ». Le concert se clôt sur la douceur communautaire soupirée par le public du « everyone » de The Branches Grow, comme pour conjurer le rite initial et permettre à l’auditoire de revenir, malheureusement, à la triste réalité extra-faccinienne.


Le concert a eu lieu :
Temple Lanterne
10 Rue Lanterne – Lyon
vendredi 6 mars 2020 à 20h30

Rain Dog Prod a présenté :
Piers Faccini

Set
Intro
Black rose
To Be Sky
Could Have Been You
Two Grains of Sand
Strange Is The Man
Each Wave That Breaks
Broken Mirror
Missing Words
Comets
Hope Dreams
Beloved
The Beggar & the Chief

Encore
Angel of Mercy
The Branches Grow

www.piersfaccini.com
www.raindogprod.com