Transformisme et raffinement

Logo RikikiJusqu’au 11 décembre, le Rikiki Café-Théâtre accueille Qui veut la peau de Sherlock Holmes ?, une comédie d’enquête absurde et interactive, magnifiquement interprétée par Titouan Bodin et Nicolas Delahaye, évoquant le brouillard londonien et l’esprit de Conan Doyle.

Quelqu’un en veut à Sherlock Holmes et souhaite se débarrasser de lui une fois pour toutes. Mais qui se cache derrière ce plan apparemment parfait et sans failles ? Pour le découvrir, il est nécessaire de ne négliger aucun détail, qu’il s’agisse d’une parole ou d’une action ou, mieux encore, de ce qui demeure inaccompli dans la parole ou l’action, qui va au-delà du simple non-dit ou non-effectué. Quelque chose qui reste vivant malgré la bifurcation se plaçant avant chaque réalisation de l’action. L’esprit scientifique fascinant de Sir Arthur Conan Doyle prend vie dans la pièce Qui veut la peau de Sherlock Holmes ?, écrite et interprétée par Titouan Bodin et Nicolas Delahaye, à l’affiche jusqu’au 11 décembre dans l’exquis café-théâtre Au Rikiki, au cœur des Pentes de la Croix-Rousse.

La scène se déroule dans le bureau londonien du professeur Holmes, dont le cerveau scientifique surdoué est constitué par le public (mais, heureusement, pas seulement !). Assis dans son fauteuil, Sherlock attend patiemment l’arrivée de l’inspecteur Lestrade, ce dernier fortement convaincu qu’il est le coupable d’un double meurtre ayant eu lieu les jours précédents. Le temps employé par l’agent de Scotland Yard pour monter à l’étage (l’homophonie avec « mon thé » sera à l’origine de nombreux qui pro quo avec le fidèle ( ?) Watson) avant de s’abattre sur Holmes, représente donc le terrain de la narration et de son éventuelle disculpation. Une course contre la montre émaillée de situations très comiques axées, pour la plupart, sur des jeux de mots, des homophonies, des malentendus qui échappent à l’évidence et dessinent un chemin tortueux de divertissement et de travail cérébral.

Une comédie « haute », jamais vulgaire, judicieusement saupoudrée de plaisanteries tout au long de la pièce et ce n’est qu’un des nombreux points fascinants de ce spectacle. L’interactivité, qui est le contrepoint de l’excellente dramaturgie constituant la trame, est travaillée avec parcimonie et traitée avec une élégance inhabituelle. Titouan Bodin est pleinement Sherlock Holmes, dont il adopte les traits et le raffinement, la finesse et le sarcasme. Ses relations verbales avec le public se transforment en analyses antiacadémiques sophistiquées (ici, peut-être, on peut déceler l’origine de l’opposition de la rivalité avec son frère jumeau Mycroft), le partage des réflexions devient le lieu d’une complexification du fil logique scientifique (l’aspect aléatoire et délirant des suppositions passives) mais aussi la possibilité d’un sarcasme et d’une ironie tranchante qui fend le brouillard dans lequel tâtonne la casualité des neurones de ce soir.

Les comédiens Titouan Bodin et Nicolas Delahaye décident d’assumer pleinement le rôle de leurs personnages et on retrouve chez eux les traits d’un transformisme de caractère. Le peu de détails qui distinguent un personnage d’un autre est contrebalancé par une interprétation radicale des rôles : Bodin est Sherlock et Mycroft Holmes, Delahaye est John et Mary Watson, l’inspecteur Lestrade et la voix off de la propriétaire de l’appartement, Ms. Hudson. La concaténation et les alternances très rapides entre les différents personnages atteignent leur apogée dans la scène qui se déroule dans la résidence de la famille Hurlstone, où le mince fil de l’analyse holmésienne semble fournir un terrain fertile à la course circulaire autour de la scène du crime. La pièce progresse grâce à l’esprit d’analyse de Holmes mais la contingence, constituée par sa toxicomanie et les trous de mémoire qui en découlent, ainsi que par l’apparition de preuves accablantes, semble être le lieu imprenable de sa condamnation. Mais grâce au jeu astucieux de l’aide du public et à sa propre logique imbattable, il pourra se disculper et bien libérer les innocents de toute présomption de culpabilité.

Si Titouan Bodin fascine et conquiert, Nicolas Delahaye laisse le public bouche bée devant la précision de la description de ses personnages, tous liés par le fil subtil de la bêtise, déclinée à différents degrés et s’écoulant au sein de professions prestigieuses qui exigent une logique de fer et une grande intelligence, comme le médecin ou l’inspecteur de police.

L’aspect musical est à souligner : loin d’être anecdotique, il traverse le récit en lui donnant une tridimensionnalité, une profondeur inattendue qui apparaît comme opportune et extrêmement agréable. Toutes les musiques de la pièce ont été composées et jouées par Rodolphe Wuilbaut, un brillant musicien que nous ne perdrons certainement pas de vue, et mettent en valeur tant le côté sombre et inquiétant que le côté plus léger et ironique de ce spectacle.

Le spectacle a lieu :
Au Rikiki Café-Théâtre
11 Rue de l’Annonciade – Lyon
du mercredi au samedi à 20h30, jusqu’au 11 décembre 2021

Au Rikiki Productions présente :
Qui veut la peau de Sherlock Holmes ?
mise en scène Titouan Bodin et Nicolas Delahaye
texte de Titouan Bodin et Nicolas Delahaye
musique Rodolphe Wuilbaut
avec Titouan Bodin et Nicolas Delahaye en alternance avec Victor Bratovic (jeu) et Pierre Mer (piano)
durée 1h30

www.aurikiki.com