Du concert comme une œuvre d’art

SucreDe retour dans la capitale des Gaules, Tricky s’est révélé dans la création d’une performance artistique et non dans l’exécution d’une conventionnelle présentation d’album. Une heure et demie de sons suffocants et nocturnes : pur délice anxiogène

Ce que nous retenons de la soirée du 11 février 2018 au Sucre de Lyon semble à l’encontre des réactions d’un public distrait et rigide dans ses attentes. Faire le choix d’aller à un concert de Tricky signifie assumer toute déception et tout énervement pour plonger dans un univers imprévu et toujours décalé, dépourvu de lumières et de couleurs, des sourires et des refrains connus et/ou reconnaissables. En d’autres mots, faire l’expérience du rythme de l’égarement.

Connaitre par cœur la discographie de ce génie du trip-hop n’a pas beaucoup d’utilité si l’on veut être investi complètement du sombre univers déployé lors de l’une de ses performances. Il n’est pas question d’esquiver la facilité et le reconnaissable, mais de bâtir un événement qui n’est pas un produit culturel préétabli, réitérable et digérable. Voici pourquoi nous avons aimé cette promenade dans le noir avec Tricky : il s’agissait d’art, non pas d’un produit du marché.

Et l’obscurité était si profonde et intense, ce soir froid et étrange au Sucre, le rooftop electro le plus à la mode de Lyon. Peu de lumières tentaient d’éclairer la salle et notamment la petite scène, vite étranglées à la demande du chanteur. Ce soir on joue dans le noir absolu, c’est clair ? Tricky se fait désirer, ne se retourne pas vers le public et laisse aller You Don’t Wanna instrumental sans intervenir. La suivante I’m Not Going est chantée par la seule et merveilleuse Marta Złakowska. Seulement avec New Stole Tricky décide de s’approcher du microphone et l’attente d’entendre finalement sa voix est brisée. Ou déçue. Non une voix, mais une brume sonore, un accompagnement atmosphérique presque inaudible entoure les mélodies de l’impeccable chanteuse polonaise dans un mouvement sensuel qui lui donne une profondeur charnelle. Nombreux seront les morceaux de son dernier album (Uniniform, False Idols 2017) joués dans la soirée mais ce qui reste étonnant est le fait que nous étions à des années-lumière d’un concert de présentation de l’album comme si l’artiste se désintéressait de faire de la publicité à sa dernière production pour jouir de l’aspect le plus proprement sincère de son art. Une sensation que nous avions vécu seulement au concert de Benjamin Clementine aux Nuits de Fourvière en 2017.

La soirée semble prendre l’envol avec Here My Dear et My Palestine Girl avec un Tricky possédé, violent, terrifiant, au bord de la folie artistique. Et là, dans l’étonnement général, le batteur, le guitariste et les deux chanteurs s’en vont. 35 minutes de concert et les musiciens ne sont plus sur la scène. Fini ? Non, c’était juste la première partie, juste un réchauffement pour la descente aux enfers que l’heure suivante nous proposera.

Overcome (tirée d’un de ses chefs-d’œuvre, l’historique Maxinquaye) inaugure ce que l’on croirait être un « best of » de son importante discographie, mais qui se révèle devenir une fresque de ce qu’il a de plus profondément anarchique et je-m’en-foutiste dans son œuvre. Aucune envie de faire danser le public ou de lui faire plaisir. Dans ce mouvement extrémiste, nous avons apprécié même le choix de faire passer un morceaux enregistré, When You Go, comme si la présence de l’artiste suffisait à donner une tridimensionnalité à l’écoute de la chanson. Ici Tricky semble s’inspirer de Piero Manzoni et de sa conception du corps de l’artiste où il n’est plus nécessaire de se montrer producteur parce que l’on est déjà artiste. La société le reconnait en tant que tel et faire passer un morceau enregistré sans intervenir aucunement relate du pur génie. Et d’un grande conscience esthétique. « Vous vouliez Tricky ? Je suis là ». Pléonasme d’une démarche sociétale absurde poussée à sa limite.

L’angoisse croît jusqu’à ce bijou de douce souffrance asphyxiante de When I Die (qu’avec The Only Way est le point d’orgue de son dernier travail), petite berceuse à deux voix sur laquelle nous pourrions tous mourir, avant de clore cette inoubliable soirée avec Vent, ouverture de Pre-Millennium Tension et fin de cette performance. Long cauchemar énervant et anxiogène, résumé résiduel d’un trip-hop devenu de plus en plus rock et dur, anti-electro.

Le spectacle a lieu :
Le Sucre
50 Quai Rambaud – Lyon
dimanche 11 février 2018

Le Sucre et Arty Farty ont présenté :
Tricky en concert

Set
You Don’t Wanna (instrumental)
I’m Not Going
New Stole
Armor
Parenthesis
Nothing’s Changed
Here My Dear
Running Wild
My Palestine Girl

Encore
Overcome
When You go (recorded)
Sun Down
Dark Days
Doll
When You Die
Vent

www.le-sucre.eu
arty-farty.eu