Que la nuit éternelle puisse nous unir

Troisième et dernier volet du Festival Mémoires, l’historique Tristan et Isolde d’Heiner Müller retrouve la lumière à l’Opéra de Lyon sous la direction de Hartmut Haenchen. Dans l’esthétique très contemporaine du visionnaire metteur en scène allemand, l’opéra de Wagner est magnifié dans toute sa force et dans l’exaltation de l’idéal transcendant de l’amour

Après le long prélude d’ouverture, les rideaux du théâtre s’ouvrent et apparaît, soudain, un cube penché qui donne une impression de danger imminent et de catastrophe. Voici que l’aire de jeu où l’histoire de Tristan et Isolde se déroulera tout au long de l’œuvre, s’affiche comme une surface glissante, périlleuse. Le jeu scénique s’exprime à travers les formes du carré à l’intérieur de sa version sublimée, le cube, supprimant tout mur apparent en faveur d’une évocation sensorielle. Les acteurs se retrouvent ainsi à agir sur scène comme dans une version romantique de Quad de Samuel Beckett, enfermés dans des cellules invisibles et pourtant bien présentes dans leur invisibilité dure. Ann Petersen interprète une Isolde colérique et nerveuse, vouée à une vengeance qui n’aura finalement jamais lieu. Son dialogue initial à distance avec Tristan (Daniel Kirch) ouvre l’opéra, installant une température de soumission à la Loi. Cette contrainte devient la force négative qui ne peut être brisée que par l’intervention magique, fût-elle mortelle ou amoureuse. La trahison de Brängane (Eve-Maud Hubeaux), en ce qui concerne les directives de sa maitresse, est l’alibi et le destin des deux ennemis-amoureux. Les voici plongés dans une longue nuit d’amour qui révèle la matière de leurs êtres : non pas des êtres de lumière, mais de l’obscurité. Cette dyade est au cœur de l’histoire mythique de Tristan et Isolde et de l’opéra de Wagner. La lumière, universellement considérée comme le pôle positif et comme le but à atteindre, devient aveuglante et insupportable, négation de la possibilité de réalisation des idéaux. Les ténèbres, en revanche, montrent le côté accueillant et vital, lieu protégé, à l’abri des regards du monde et de ses lois. Les deux héros sont donc des créatures de la nuit, corps qui refusent l’exposition au jour et qui doivent se soustraire à la rencontre avec les êtres de lumière (le roi Marke, Melot) pour la réalisation de leur amour. La découverte de la nuit scélérate entraîne la condamnation : le roi Marke, interprété par le basse Christof Fischesser, proscrit les deux traditeurs. Sa voix grave, dure, ne laisse pas de place à aucun repenti : elle s’impose et emplit le monde avec sa sanction. Le deuxième acte se clôt sur l’offre fatale que Tristan fait à Isolde : « Isolde, veux-tu suivre Tristan dans le pays dont Tristan parle, la lumière du soleil ne brille pas : c’est le sombre pays de la nuit » (acte II, scène 3).

Protagoniste solitaire de la première scène du troisième acte, Tristan monte en puissance, pressentant sa fin. L’arrivée d’Isolde marque la fin de sa vie terrestre et donne la possibilité à son aimée de le rejoindre immédiatement. La scénographie, initialement un énorme Black painting de Rothko, se transforme en royaume de la lumière, cette fois-ci dorée, symbole du paradis métaphysique, lieu de la réalisation de l’Amour et de l’extase suprême. Et ce bonheur ultime a sa chance d’exister seulement dans l’œuvre d’art qui, dans la recherche artistique incessante de Wagner, est une œuvre rédemptrice.

Spectacle vu le 2 avril 2017

Le spectacle a eu lieu :
Opéra de Lyon
1 Place de la Comédie – Lyon
samedi 18 mars 2017, mardi 21, samedi 25, mardi 28 et mercredi 5 avril à 18h30, dimanche 2 avril à 15h00

L’Opéra de Lyon, en coproduction avec le Landestheater Linz, a présenté :
Tristan et Isolde
de Richard Wagner
action en trois actes, 1865
livret du compositeur
en allemand
recréation de la production originale de Bayreuth (1993)

durée 4h35
direction musicale Hartmut Haenchen
mise en scène Heiner Müller
réalisation de la mise en scène Stephan Suschke
décors Erich Wonder
recréation des décors Kaspar Glarner
costumes Yohji Yamamoto
lumières Manfred Voss
recréation des lumières Ulrich Niepel

avec
Daniel Kirch Tristan
Ann Petersen Isolde
Christof Fischesser Roi Marke
Alejandro Marco-Buhrmester Kurwenal
Thomas Piffka Melot
Eve-Maud Hubeaux Brangäne
Patrick Grahl Le Jeune Matelot, Le Berger
Paolo Stupenengo Un timonier
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

L’Opéra de Lyon a présenté
Festival Mémoires
du 7 mars au 5 avril 2017
à l’Opéra de Vichy, au TNP de Villeurbanne et à l’Opéra de Lyon

www.opera-lyon.com
www.opera-vichy.com
www.tnp-villeurbanne.com