La force de l’espoir d’un corps politique multiple et dansant

Présentée en première mondiale à la Maison de la danse de Lyon, Via Kanana est la rencontre entre deux visions de la danse très différentes mais qui se rejoignent dans la volonté de représenter une Afrique du Sud déçue et enragée. Gregory Maqoma et Via Katlehong forment ainsi un corps politique intervenant dans le tissu du réel pour bouleverser les anciennes promises et un futur déjà décidé

Danse, prière, chant, slogan : tout se mêle dans Via Kanana, le résultat de la rencontre entre Gregory Maqoma et Via Katlehong, présenté en avant-première mondiale à la Maison de la danse de Lyon. Une pièce qui n’est pas politique, du moins, pas autant que le corps qui l’interprète. C’est ce corps qui façonne la structure du spectacle, qui trace des lignes signifiantes entre la joie et l’engagement, entre la protestation et la supplique. Un corps jamais unique et toujours multiple, capable d’affaiblir  le pouvoir en évaginant son apparence. S’il n’y a pas de solitude corporelle, il n’y a pas non plus la force d’un groupe : ce qui tient à ce corps c’est sa structure multiple, son apparence à la fois forte et liquide, changeante, qui se libère de tout concept d’homogénéité (culturelle, politique, corporelle, identitaire).

Les danseurs occupent physiquement l’espace de la scène, se lançant dans une danse envoûtante et effrénée, peut-être interminable. Une présence forte mais qui reste dans l’ordre de la joie visuelle et dans une certaine forme de légèreté. Et pourtant, quelque chose trouble cette surface qui semble, pour une première lecture, assez libre. Des ombres apparaissent dans le fond, sur cette double surface qui rappelle plus celle d’un livre ouvert que celle du lointain du théâtre. C’est là, sur les pages de l’histoire, que nous assistons à un surgissement, à une émergence de la forme signifiante. Ces formes, bien qu’elles reproduisent les corps des danseurs, s’extraient d’eux pour la création d’un doppëlganger troublant, vivant. L’ombre, extraite de la forme humaine, retourne à elle en la chargeant d’une nouvelle signification. Voici que les corps des danseurs se trouvent déjà multipliés, positionnés dans une complexité inquiétante. La valeur politique est donc l’apanage de ces silhouettes qui réinvestissent les interprètes d’une nouvelle corporalité et c’est dans ce dialogue entre l’avant et l’arrière de la scène que les enjeux de Via Kanana se jouent. Il ne suffit pas de dénoncer la corruption, la violence, les injustices : il est nécessaire de pénétrer dans les structures complexes du pouvoir (qui est, par nécessité, décevant et étouffant). Voici que la multiplication des corps et de leur apparence peut être un moyen pour s’incruster dans les mécanismes du pouvoir afin d’affaiblir ses fondements. Tant qu’il y aura de la danse, il y aura de l’espoir.

Spectacle vu le 7 novembre 2017

Le spectacle a eu lieu :
Maison de la Danse
8 avenue Jean Mermoz – Lyon
lundi 6 et jeudi 9 novembre 2017 à 14h30 , mardi 7, jeudi 9 novembre et vendredi 10 novembre à 20h30, mercredi 8 novembre à 19h30

La Maison de la danse, en coproduction avec Via Katlehong Dance, le Théâtre Paris-Villette et la Scène Nationale de Châteauvallon – Ollioules, ont présenté

Via Kanana
chorégraphe Grégory Maqoma
danseurs Tshepo Nchabeleng, Tshepo Mohlabane, Thato Qofela, Abel Vilakazi, Teboho Molelekeng, Andile Nhlapo, Lenela Lenallo, Julia Burnham
lumière et images Olivier Hauser et Jurgen Meekel
régie générale David Hlatshwayo
assistant du chorégraphe Buru Mohlabane
production en Afrique du sud Steven Faleni
administration et production en France Damien Valette
assistance et coordination en France Joséphine Pannier Léonard
coproduction Via Katlehong Dance, Maison de la Danse de Lyon, La Villette, Paris, Châteauvallon, Scène nationale

durée 1h10

www.maisondeladanse.com