Un mouvement syncrétique et chargé de temps

Afin de fêter ses 30 ans d’activité, ce samedi 30 septembre la compagnie croix-roussienne Anou Skan a offert une représentation poétique et intimiste au cœur de l’Hôtel de Ville de Lyon.

Depuis trente ans, au cœur des Pentes de la Croix-Rousse, une compagnie discrète et admirable est porteuse d’une proposition artistique de poésie radicale. Il s’agit d’Anou Skan, tribu éphémère et variable fondée en 1993 à l’initiative de Sophie Tabakov et Laurent Soubise.

Leur rencontre quelques années plus tôt change radicalement le cours de leur vie. Accueillant l’événement dans leurs existences, Sophie et Laurent décident de construire un lieu protégé où ils pourront laisser s’épanouir ce bourgeon, s’ouvrant à la poésie du mouvement. Aujourd’hui encore, à quelques pas de la vivace place des Terreaux, l’atelier d’Anou Skan représente un espace chargé de temps qui abroge celui du continuum extérieur du monde.

En 2003, la chorégraphe et danseuse rencontre le derviche iranien Javad, qui l’initie à la danse du tournoiement, qu’elle approfondira par la suite grâce à l’enseignement de Sharohk Moshkin Ghalam. Entre-temps, Laurent Soubise se consacre à la lecture des textes de Carlos Castaneda, ainsi qu’aux enseignements de Javad Téhranian, Shahrokh Moshkin Ghalam et Rana Gorgani.

La rencontre entre ces deux interprètes ne pouvait que donner naissance à une pratique gestuelle destinée à approcher le sacré, dans une spiritualité qui ne conçoit pas de barrières mais fait apparaître des chemins cachés et silencieux, des passages benjaminiens qui permettent la mise en communication de cultures et religiosités éloignées.

Le samedi 30 septembre, le 30e anniversaire de la compagnie a été célébré dans la cour du prestigieux Hôtel de Ville et, pour l’occasion, la Tribu Éphémère du Tournoiement a donné une représentation atemporelle. Dans le silence de cet hortus, les dix interprètes ont créé une danse virevoltante d’une grande poésie accompagnée au chant par l’élégance de la mezzo-soprano Thandiswa Mpongwana.

Dans le mouvement rotatif, il y a une articulation temporelle qui lui est propre et qui n’appartient à aucune autre action. Mais il n’y a rien d’identique ni de répétitif. Dans ce geste minimal, le temps prend le temps de s’articuler, passant par différentes modalités, différentes manières d’appréhender le réel. Tourner sur soi-même devient alors non seulement un geste unique, mais convoque des évocations et des sensations éloignées les unes des autres : « les lointains – qu’il s’agisse de pays ou d’époques – font irruption dans le paysage et l’instant présent » (W. Benjamin, Paris. Capitale du XXe siècle. Le livre des Passages, Cerf, Paris 2000, p. 438). En se proposant avec insistance, le tournoiement n’atteint jamais l’identique, le même, mais s’ouvre à une variation continue, éternelle, inviolable. Chaque nouveau mouvement est une nouvelle combinaison de perceptions. Les interprètes créent ainsi des concaténations d’évocations de danses et de rituels différents et lointains. On perçoit le caractère filmique de l’homme et de la femme qui virevoltent, rassemblant dans un long et délicat mouvement l’articulation indicible d’un geste où les temporalités sont retenues.

Un geste qui accueille la multiplicité, tout comme le choix du nom de la compagnie, juxtaposition de deux termes aussi éloignés que Anou, l’ancien dieu assyrien, maître des cycles organiques de la nature, et Skan, terme de la langue des indigènes Lakota décrivant le mouvement. Juxtaposer des termes et des mouvements qui semblent appartenir à des univers incompatibles se révèle être un geste politique de grande force que les deux chorégraphes déclinent dans leur pratique quotidienne et dans une action qui s’impose comme la ligne directrice de leur proposition.

Afin de célébrer au mieux le 30e anniversaire de la compagnie, plusieurs événements auront lieu dans les semaines à venir. Premier rendez-vous le 20 octobre avec l’événement festif de clôture du Studio La Boca à Villeurbanne. Au cours de la soirée, il sera possible d’assister à une performance de la Tribu Éphémère du Tournoiement, accompagnée cette fois d’un chant choral dirigé par Stéphane Lovato, à un intermède dansé de Laurent Soubise introduisant la pièce EXPIRE d’Amalia Soubise, ainsi qu’à la projection du film Rétrospective des 30 ans de la Cie Anou Skan de Didier Dematons. Du 9 au 18 novembre, il sera possible de visiter Voies de passage à la Mairie du 1er à Lyon, exposition autour des tissus textiles retraçants les chemins d’exil des résidents des Centres d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) de la Région AURA, accompagnés de dessins à la symbolique amérindienne exprimant des sentiments tels que la peur, la joie et l’espoir.

Le spectacle a eu lieu :
Cour de l’Hôtel de Ville
1 place de la Comédie, Lyon
samedi 30 septembre 2023 à 18h

La Compagnie Anou Skan a présenté :
Performance pour 10 interprètes et mezzo-soprano
La Tribu Ephémère du Tournoiement dirigée par Laurent Soubise et Sophie Tabakov
chant Thandiswa Mpongwana, soliste du Lyon Opéra Studio (de l’Opéra de Lyon)

anouskan.fr