Re-territorialiser son répertoire

Pour la 20e édition de la Biennale de la danse de Lyon, la chorégraphe et danseuse cap-verdienne Marlene Monteiro Freitas reprend une œuvre de 2010, Guintche, en la projetant vers sa saturation définitive.

Treize ans après sa création, Marlene Monteiro Freitas fait revivre Guintche en proposant une extension qui sature complètement une esthétique déjà exquisément radicale à l’origine. Accompagnée de deux batteurs, Henri “Cookie” Lesguillier et Simon Lacouture, l’artiste originaire du Cap-Vert conçoit une œuvre non seulement intense, mais exténuante, aspirant à l’exhaustivité et à l’épuisement des possibilités performatives.

Guintche, un terme signifiant en cap-verdien « oiseau » ou « prostituée » ou, comme l’insiste le chorégraphe, « qui sait, une attitude », est une performance faite de sueur, de salive et de fatigue musculaire. L’étrange personnage incarné sur scène par Freitas est un accident entre diverses formes animales, où les traits ornithologiques révèlent ensuite ceux des primates et des humains dans une logique de dévoilement progressif. Peu à peu, l’artiste abandonne ses vêtements tandis que le maquillage qui recouvre son visage et ses bras fond progressivement, disparaissant grâce aux fluides corporels qui rayent son corps.

Le mouvement iliaque répétitif est provoqué par le rythme incessant et le bruit excessif que les deux batteurs imposent à la scène. Dans le dédoublement musical initial, on perçoit le besoin de dépasser la mesure, de submerger le théâtre par la puissance d’une percussion insoutenable. Marlene Monteiro Freitas réussit, malgré toutes ces contraintes, à décrire la vie et les émotions d’un être dont le devenir-tout (au-delà, donc, de tout devenir-humain ou devenir-animal deleuzien) s’exprime par une mutation progressive. Le trop de son et de performance libèrent la possibilité d’une narration faite de diapositives en mouvement, juxtaposées et sans solutions de continuité.

Après l’interruption brutale qui sépare Guintche en deux parties distinctes, visuelles et sonores, un récit moins violent commence son action, faisant apparaître une ouverture de sens qui complexifie la pièce. Marlene Monteiro Freitas se mesure ainsi à l’histoire de la danse, intégrant pas et mouvements dans une présentation qui brille par sa densité et sa clarté. Dans son solo, la danseuse capverdienne évoque aussi des gestes de boxe, les mouvements d’une marionnette, d’un pantin mécanique. Des instantanés qui laissent immédiatement place à l’attitude performative d’un mannequin lors d’une séance photo, puis à l’entraînement d’un acrobate, à un jeu clownesque ou à l’irruption d’un étrange mammifère.

Réactiver Guintche est une manière pour la chorégraphe de revenir à ses origines, de repenser sa propre mémoire corporelle. Un besoin, peut-être, de prendre du recul pour se tourner vers l’avenir avec un autre regard. Chargé d’une énergie vitale qui ne peut surgir qu’après avoir reconquis son propre territoire.

Le spectacle a eu lieu :
Théâtre de la Croix-Rousse
place Joannes Ambre – Lyon
du mardi 12 au mercredi 13 septembre 2023 à 20h

La Biennale de la danse et le Théâtre de la Croix-Rousse ont présenté :
Guintche (live version)
pièce pour 3 interprètes – 2010
compagnie P.OR.K Associação Cultural
direction artistique Marlene Monteiro Freitas
interprètes Marlene Monteiro Freitas, Henri “Cookie” Lesguillier, Simon Lacouture
musique Henri “Cookie” Lesguillier and Simon Lacouture (tympani), Johannes Krieger (trompette, extrait de Rotcha Scribida par Amândio Cabral), Otomo Yoshihide (extrait d’un solo guitare), Anatol Waschke (shrapnel)
son Tiago Cerqueira
scénographie Yannick Fouassier and Marlene Monteiro Freitas
costumes Marlene Monteiro Freitas
lumière Yannick Fouassier
équipe technique Yannick Fouassier (Directeur et lumière), Tiago Cerqueira (son)
production Soraia Gonçalves, Joana da Costa Santos (P.OR.K Lisbonne)
coproduction Novo Negócio ZDB (Lisbonne), Associação de Promoção Cultural (Lisbonne) Résidence accueillie par O Espaço do Tempo (Montemor-o-Novo), Alkantara Festival (Lisbonne) Avec le soutien de Re.Al(Lisbonne), Forum Dança – Associação Cultural (Lisbonne), Bomba Suicida – Associação de Promoção Cultural (Lisbonne) et Avelino Chantre, Pedro Lacerda, João Francisco Figueira, Anatol Waschke
en co-accueil avec le Théâtre de la Croix-Rousse

durée 1h sans entracte

labiennaledelyon.com
croix-rousse.com