Mise à mort d’une corrida machinique

Parade érotique et célébration d’une relation impossible, Radio Vinci Park Reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier a offert à la Biennale de la danse un moment tragique de poésie baroque.

Il y a quelque chose d’aliénant dans Radio Vinci Park Reloaded, version actualisée de l’œuvre de François Chaignaud et Théo Mercier de 2016 présentée ces jours-ci aux Usines Fagor. Quelque chose qui s’agite dans l’arrière-plan de la parole chantée et de l’action exécutée. Quelque chose qui draine le visible et le restitue à sa nudité brute.

Pour la 20e édition de la Biennale de la danse, le plasticien et chorégraphe-danseur français a décidé de réactiver une œuvre d’il y a quelques années, la faisant précéder d’un prologue et l’adaptant aux spécificités fascinantes d’un site industriel voué à la destruction. Le préambule se déroule à l’extérieur d’un hangar périphérique, où un garage improvisé a été installé. François Chaignaud attend impatiemment que sa voiture soit réparée, tandis que les chanteurs Mario Barrantes Espinoza et Daniel Wendler temporisent avant de donner une brève performance, mise en bouche de ce qui va suivre peu après.

Le public est ensuite invité à prendre place dans la première salle, où au milieu des roses et des partitions jonchées au sol, Marie-Pierre Brébant joue imperturbablement du clavecin. Malgré l’antinomie immédiate entre les harmonies baroques et le lieu abandonné, on s’adapte très vite à cette nouvelle situation, profitant d’une prestation musicale particulièrement fascinante. Le concert atypique se poursuit lorsque nous arrivons à la troisième et dernière étape de notre pérégrination. Dans une ambiance froide et inquiétante, plongé dans l’obscurité du bâtiment industriel, un motard entièrement vêtu de noir attend patiemment sur son véhicule. Imperturbable, froid et détaché, il fait preuve d’une totale apathie lorsque François Chaignaud entame sa longue parade amoureuse, sensuelle et sacrificielle. Nous sommes ici confrontés à une forme particulière de dispute, entre tauromachie, cour, célébration du sentiment amoureux et condamnation finale.

Dans l’absence totale de réaction de l’objet désiré, François Chaignaud se mesure à une performance profondément pathétique, dans laquelle il y a un don total de soi, sans reste. Entre notes baroques, chants raffinés et silences solides, l’interprète construit une danse rituelle capable de passer de la provocation à la soumission, du défi à l’abandon. La musique baroque (Purcell, Haendel et Dowland) interprétée par Marie-Pierre Brébant continue de résonner ici, soulignant la tension d’un terrain cérémoniel, l’érotisation d’une corrida machinique.

L’apothéose du sentiment sacrificiel est atteinte lorsque François Chaignaud se mesure à une taurocathapsie personnelle, extrêmement lente et triomphante. Le « saut du taureau » prend ici une forme particulière : l’artiste monte sur la moto, puis effectue une roulade contrôlée directement sur le cavalier et se hisse enfin devant lui en signe de conquête définitive. Mais cette victoire est ponctuée de quelques mots pas du tout anodins. « I am appointed to a situation which will afford me leisure to write in future just what I like myself, and I feel I am capable of doing something worthy of the fame I have acquired, but instead I find that I must die ». Les derniers mots de Mozart, prononcés trois jours avant de succomber à la mort, résonnent dans le silence religieux du hangar comme une déclaration liminaire, une restitution à son propre échec.

L’artiste s’étendra finalement sur le sol, sans vie, après avoir accompli son acte sacrificiel pour un amour impossible. Et ce n’est que lorsque la mort s’abattra sur la pièce que le motard indifférent se réveillera de son apparente torpeur émotionnelle. Le cascadeur Cyril Bourny peut ainsi produire une danse cérémonielle grandiloquente, tourbillonnant autour du corps inanimé de Chaignaud. Danse de la victoire, humiliation finale ou hommage tardif et effréné ?

Nous restons sans réponse, tourmentés par un sentiment d’aliénation, provoqués par l’action continue et effrénée d’une œuvre qui travaille le matériau tragique du sentiment érotique avec une rare ponctualité, se mesurant à une compression épocale et esthétique qui agit par antinomies sans jamais se fissurer.

Le spectacle a eu lieu :
Usines Fagor
65 Rue Challemel Lacour – Lyon
du jeudi 21 au samedi 23 septembre 2023

La Biennale de la danse a présenté :
Radio Vinci Park Reloaded
de François Chaignaud et Théo Mercier
pièce pour 5 interprètes, 2023
mise en scène, scénographie Théo Mercier
danse, chant, chorégraphie François Chaignaud
clavecin, adaptation musicale et composition du prologue Marie-Pierre Brébant
chant Mario Barrantes Espinoza et Daniel Wendler
stunt Cyril Bourny
collaboration artistique Florent Jacob
régie générale François Boulet
son Serge Lacourt
peinture en lettre et graphisme Tiphaine Buhot-Launay Graffs DUKE 72
conception technique du costume Clinique Vestimentaire
autres costumes Camille Queval
remerciements Bruno Izard, Vincent Bleuzet et Baylam Ballabeni
administration & production Mandorle Productions (Garance Roggero, Jeanne Lefèvre & Emma Forster) & Alma Office (Alix Sarrade)
diffusion internationale APROPIC (Line Rousseau, Marion Gauvent & Lara van Lookeren)
production déléguée Good World etla Biennale de la danse de Lyon 2023
coproduction La Biennale de la danse de Lyon 2023, Radio Vinci Park (2016) La Ménagerie de verre – Paris, Festival Actoral – Marseille, La Bâtie – Festival de Genève, CDN Nanterre-Amandiers

durée 1h sans entracte

labiennaledelyon.com