Chœurs de rédemption et de liberté

Les Siecles Romantiques LogoDans le cadre habituel de la Chapelle de la Trinité, la nouvelle saison de l’ensemble Les Siècles Romantiques s’est ouverte par une soirée dont le titre allie célébration et sentiment patriotique : Viva Verdi !

L’arrivée de l’automne coïncide avec le début des nouvelles saisons musicales, et l’un des ensembles les plus fascinants de la région, les Siècles Romantiques, ne peut être absent du riche panorama lyonnais. En guise de premier rendez-vous, le directeur artistique Jean-Philippe Dubor a souhaité proposer une sélection de chœurs et d’airs issus de quatre chefs-d’œuvre du répertoire lyrique de Giuseppe Verdi : Nabucco, Macbeth, Don Carlo et Aïda. Le titre choisi pour la soirée, Viva Verdi ! suggère à la fois un acte d’amour et de célébration du grand compositeur italien, mais cache aussi, dans les plis de son exposition, une référence au mouvement patriotique du Risorgimento. Si le compositeur fut élu à la Chambre des députés du premier parlement du Royaume d’Italie en 1861, dès 1859, d’abord à Naples puis dans tout le Pays, son patronyme devint l’un des instruments de la propagande patriotique en fonction antiautrichienne. Derrière les inscriptions qui apparaissent sur les murs du Belpaese, se dessinent le désaveu de l’envahisseur et le désir d’une figure politique unitaire : « Viva Verdi » se révèle être donc l’acronyme de « Viva Vittorio Emanuele Re d’Italia ».

La soirée lyonnaise s’ouvre avec le troisième opéra du catalogue de Verdi, ce Nabucco dont la puissance permit de racheter la vie et la carrière du Cygne de Busseto après les pertes dramatiques, en l’espace de deux ans, de sa première épouse Margherita et de ses deux enfants Virgilia et Icino Romano, et le fiasco cuisant d’Un giorno di regno en 1840 à la Scala. Ouvrant l’opéra, le chœur des Lévites apparaît particulièrement émouvant et le chef Dubor montre d’emblée son travail délicat qui caresse et élève les tessitures vocales. L’expression collective des Vierges agit comme une force montante tandis que l’union finale des deux chœurs se révèle particulièrement vibrante dans le propos final Fra gl’idoli stolti l’assiro stranier !. Lo vedeste ? introduit le clair-obscur verdien, tandis que le triomphant È l’Assiria una regina décrit avec force et audace l’autorité inquiétante d’Abigaille. L’air suivant, Oh, dischiuso è il firmamento ! accueille l’élément positif et vital qui s’oppose à la fille perfide de Nabucco. Elena Sommer, annoncée comme souffrante, se démontre excellente et capable de dissiper toute crainte performative ; elle donne à sa Fenena une dimension sensible où, dans la complainte décrivant sa propre fin, apparaît la lumière qui représentera le salut, à la fois personnel et celui du peuple juif qui a su l’accueillir. Le choix du dernier extrait de l’opéra permet de faire une digression dans la chronologie de l’opéra, jusqu’au célèbre air Va’ Pensiero, interprété avec justesse et mesure par un chœur capable d’esquisser dans la plainte, le dessein de la liberté et de la rédemption.

Deuxième étape d’une soirée intense, Macbeth donne une profondeur phénoménique à la traversée de l’univers verdien. Le prélude assuré par Landry Chausson englobe le drame, la sorcellerie, les rêves, les intrigues avec une touche passionnée et profondément dramatique. Le S’allontanarono ! se décline en pur théâtre, où les sorcières, qui viennent d’annoncer des prodiges à Macbeth et Banco, assistent diaboliquement au désarroi des deux compères. Au chœur des femmes s’oppose le suivant Chi v’impose unirvi a noi ? dont la cadence vocale, soulignée avec justesse par le piano de Chosson, grave cruellement la chair de l’histoire, à travers les préparatifs d’un meurtre qui fera basculer le récit dans la tragédie. Un piano délicat et sombre introduit le chœur mixte et douloureux Patria oppressa ! qui constitue l’un des moments forts de la soirée (souligné sans hésitation par le public nombreux présent). Les voix féminines et masculines se rencontrent à l’unisson, dans une union qui renforce le sentiment de solennité grâce à une directionnalité intensive. Jean-Philippe Dubor soigne chaque détail et sa présence semble se manifester en tout lieu, insistant sur la noirceur du paysage dans lequel se déroule la scène, tandis que les interprètes s’offrent dans un sacrifice total de souffrance et d’audace. Puis vient le moment pour Rémy Poulakis d’offrir un Macduff émouvant, antithèse libératrice et salvatrice de Macbeth. Le ténor déchire la forêt de Birnam avec l’éclat d’un chant profond et sincère, réfutation à la fois de l’oppression mortelle et de la simple légèreté. Le chœur final Vittoria ! Vittoria ! rend justice à la résilience du peuple écossais et la jubilation liminaire clôt parfaitement la première partie de la soirée.

Après l’entracte, Landry Chosson dessine un prélude sensible qui permet à l’auditeur d’arriver in medias res dans le récit sombre et terrible de Don Carlo. Alors que les frères de l’église San Giusto évoquent le passé glorieux du « sommo imperatore » Charles Quint, devenu « muta polve », l’un d’eux se détache du chœur, créant un dialogue oppressant. La basse Guy Lathuraz lui donne voix, travaillant l’élégance du texte en connivence avec un traitement équilibré qui ne dépasse jamais la mesure. La chanson du voile est interprétée par Elena Sommer avec conviction, donnant à la princesse toutes les nuances de son caractère. Méfiante, sûre d’elle, Eboli raconte l’histoire d’un roi maure et d’un voile trompeur, prédiction d’un événement qui la décevra peu après. Le chœur de l’autodafé qui suit renforce le dynamisme que Verdi a su inscrire dans l’opéra et interprété avec passion par le chef Dubor : le chœur mixte insiste sur l’aspect festif et célébrant tandis que celui des frères s’abîme dans l’aspect tragique de la représentation publique. L’aria d’Eboli O don fatale confirme le pouvoir contre-effectuant de Sommer qui, en maudissant la beauté de son propre caractère, exalte celle d’une voix qui possède la sagesse de sculpter la personnalité complexe et l’esprit conflictuel de la princesse.

Le dernier quart de la soirée est consacré à l’œuvre que Verdi créa pour l’Opéra du Caire en 1871 : Aida. Landry Chosson donne à l’ouverture une texture particulièrement onirique qui se prête bien à la narration qui s’en suit. Rémy Poulakis offre au public une performance émouvante dans l’aria Celeste Aida : sensible, profond, conscient et amoureux, son Radamès captive par une richesse de nuances parfaitement maîtrisées. La scène suivante offre un dialogue entre Ramphis (Guy Lathuraz) et Radamès qui séduit par la dimension d’une écoute dénuée de toute individualisation, vouée à une élaboration collective. Dans la conjonction chorale, chaque singularité se maintient malgré tout et grâce à elle, l’investissement de la mission divine est rendu possible. Aucune confusion ne semble affecter cette scène, soigneusement décrite par les solistes, le chœur et le piano. L’action se déplace ensuite dans les appartements d’Amneris où le chœur féminin des esclaves apparaît dans toute sa splendeur, formant le point culminant de la soirée. Le concert se termine par le grand chœur triomphal Gloria all’Egitto, ad Iside, un moment énergique et somptueux où les voix des femmes, du peuple et des prêtres participent collectivement à la magnificence de l’œuvre du compositeur italien.

Les choix évocateurs de Jean-Philippe Dubor ont construit une soirée enchanteresse, un voyage à travers les richesses de celui que l’on appelait à juste titre « le Maestro del core ». Une célébration de l’œuvre du génie parmesan avec un chœur dynamique et solennel, des solistes à la hauteur et un pianiste qui a ravi le public présent.

Le concert a eu lieu :
Chapelle de la Trinité
29-31 rue de la Bourse – Lyon
mercredi 27 septembre 2023 à 20h

Les Siècles Romantiques ont présenté :
Viva Verdi !
direction artistique et chef de chœur Jean-Philippe Dubor
mezzo-soprano Elena Sommer
ténor Rémy Poulakis
basse Guy Lathuraz
piano Landry Chosson
Les Siècles Romantiques

Programme détaillé :

Nabucco
Gli arredi festivi
Lo vedeste?
È l’Assiria una regina
Va’ Pensiero

Macbeth
Prelude
S’allontanarono!
Chi v’impose unirvi a noi?
Patria oppressa!
O figli, o figli miei! da quel tiranno
Vittoria! Vittoria!

Don Carlo
Carlo il sommo Imperatore
Sotto ai folti, immensi abeti
Spuntato ecco il dì d’esultanza
O don fatale!

Aida
Ouverture
Celeste Aida
Mortal, diletto ai numi
Chi mai fra gl’inni e i plausi
Gloria all’Egitto, ad Iside

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