Un regard sensible et écologique

Festival D'avignonPrésentée ces derniers jours par le nouveau directeur Tiago Rodrigues, la 77e édition du Festival d’Avignon brille par son ouverture esthétique et populaire

Mercredi 5 avril, La Fabrica, Avignon. Tiago Rodrigues prend la parole, marquant officiellement le début d’un nouveau cycle après celui, important, qui a vu le dramaturge et metteur en scène Olivier Py à la tête du festival pendant huit ans. Interprète profond du Zeitgeist, le nouveau directeur a salué la portée de l’action collective de toute l’équipe qui, conjointement avec les autres acteurs culturels, fait d’Avignon « peut-être pas le plus important, mais certainement le plus beau festival de théâtre du monde ».

Une programmation s’articulant autour de plusieurs axes : ouverture esthétique, vulnérabilité, intégration de l’aspect écologique et démocratisation culturelle. Un nouveau regard s’impose ainsi à un festival qui, depuis 1947, a su définir de nouvelles coordonnées culturelles, créer des espaces relationnels là où les oppositions territoriales perduraient, réaffirmant sans cesse le lien essentiel entre l’art et la vie.

Deux spectacles ouvriront la journée du mercredi 5 juillet : G.R.O.V.E. de Bintou Dembélé, légende du hip-hop transalpin, se déroulera comme une déambulation urbaine guidant le public jusqu’à l’Opéra de la ville où les frontières esthétiques de la danse seront traversées grâce à la puissance des danseurs de la compagnie, alors que la soirée se terminera dans la cour d’honneur du Palais des Papes avec Welfare de la directrice du TGP de Saint-Denis, Julie Deliquet, libre adaptation du documentaire éponyme de 1973 de Frederick Wiseman sur l’humanité circulant dans un centre d’aide sociale new-yorkais. En revanche le clap de fin sera donné le mardi 25 juillet, toujours dans le prestigieux Palais des papes, avec la reprise d’un spectacle du nouveau directeur, By Heart, dix ans après sa création et avec l’intention affichée d’intégrer une partie du public à la pièce.

Entre ces deux extrêmes, 41 autres spectacles verront le jour, dont certains porteront sur la musique et ses rapports avec le théâtre, à commencer par Trilogie 72 – coproduit avec Le Printemps de Bourges – qui célébrera trois albums historiques du rock anglophone à la lumière des lectures de prestigieux artistes français : Transformer de Lou Reed d’après Silly Boy Blue, Ziggy Stardust de David Bowie imaginé par Léonie Pernet et Harvest de Neil Young relu par La Maison Tellier & friends). Suivra Inventions du duo espagnol Mal Pelo (dirigé par Maria Munon et Pep Ramis) où l’univers sonore de Johan Sebastian Bach croisera les écrits de John Berger, Nick Cave et Erri de Luca, et l’on retrouvera, après quelques années d’absence, Anne Teresa De Keersmaeker avec une nouvelle création inspirée de la vie du bluesman Robert Johnson.

En ce qui concerne la danse, l’artiste belge apportera également à Avignon la reprise de sa pièce En Atendant, tandis que le chorégraphe japonais Michikazu Matsune réfléchira au rôle révolutionnaire de l’œuvre de Martine Pisani dans Kono atari no dokoka. Maud Blandel, quant à elle, fera résonner le phénomène astronomique des pulsars avec la dégradation physique et mentale de son propre père dans L’oeil nu. Deux autres spectacles viendront compléter le panorama dansant de la 77e édition : The Romeo de la chorégraphe nord-américaine Trajal Harrell, ode à une humanité qui s’obstine à concevoir la vie comme un mouvement chorégraphique infini, et Black Lights de Mathilde Monnier inspiré de la série H24 de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud sur le traumatisme, physique et psychique, de l’acte de violence subi par les femmes.

L’ouverture esthétique incarnée par cette édition est également à l’origine de deux initiatives majeures. Tout d’abord, le retour de l’extraordinaire site de la carrière de Boulbon, tant désiré par Peter Brook pour la première mondiale de son Mahabharata lors de l’édition de 1985. Théâtre minéral unique au monde, Boulbon deviendra le cadre du rêve rétro-futuriste de Philippe Quesne, Le Jardin des délices, où l’univers de Jérôme Bosch côtoiera celui des westerns et de la science-fiction. Autre grande volonté de cette édition, l’intégration du paysage artificiel et naturel se réalisera dans deux projets sur la petite commune de Pujaut : Que ma joie demeure de Clara Hédouin, une promenade à la découverte de l’œuvre éponyme de Jean Giono qui se déroulera de l’aube à la fin de la matinée, et Paysages partagés de Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, une constellation de sept œuvres d’artistes de neuf Pays qui accompagneront les spectateurs entre réflexions philosophiques et rencontres avec des sculptures musicales, dans une promenade de sept heures qui s’achèvera à l’orée de la nuit.

Parmi les autres communes qui accueilleront le festival, Vedène jouera un rôle important en accueillant Neandertal de David Geselson, interrogation sur l’avenir de l’humanité à partir des découvertes du prix Nobel de médecine Svante Pääbo, et Antigone en Amazonie, dans lequel l’auteur Milo Rau fait rencontrer la mythologie grecque et la lutte des peuples d’Amazonie.

Le festival sera également l’occasion de découvrir de nombreux auteurs jusqu’alors inconnus en France. Ce sera le cas de Carolina Bianchi (avec la compagnie Cara de Cavalo) avec A Noiva e o Boa Noite Cinderela, un travail percutant sur les violences faites aux femmes ; du célèbre metteur en scène Tim Crouch qui proposera deux spectacles, An Oak Tree (travail sur le deuil et la capacité de métamorphose du théâtre) et Truth’s a Dog Must to Kennel (réflexion sur le Roi Lear de Shakespeare) ; de la talentueuse compagnie new-yorkaise Elevator Repair Service avec Baldwin et Buckley à Cambridge (interrogation sur la réalité du “rêve américain” au détriment des droits de la population noire) ; de la dramaturge d’origine anichinabée Émilie Monnet avec Marguerite : le feu (sur la vie de Marguerite Duplessis, première personne asservie à revendiquer des droits devant le tribunal de Montréal).

Parmi les spectacles les plus exigeants, y compris en termes temporels, nous citons Extinction, où Julien Gosselin, avec la compagnie de la Volksbühne, fera résonner les mots d’Arthur Schnitzler et de Thomas Bernhard sur fond de monde apocalyptique ; Les émigrants de Krystian Lupa où l’auteur polonais revient se confronter aux écrits de W. G. Sebald ; Dispak Dispac’h de Patricia Allio sur la violence que la nécropolitique impose aux questions migratoires et The Confessions d’Alexander Zeldin où un entretien intime avec la mère devient une rencontre intime avec la mère et où la mère de la mère devient l’occasion d’une reconstruction historique de l’Australie et du Royaume-Uni.

De nombreuses initiatives viendront compléter le festival : le Café des idées au cloître Saint-Louis, rendez-vous quotidien du débat culturel, les expositions à la Maison Jean Vilar (avec les clichés de Christophe Raynaud de Lage sur l’histoire du festival) et à la Collection Lambert, le projet Première fois qui se veut un point d’ancrage où les incertitudes et la discrétion de la « première fois en Avignon » se transforment en moments d’enrichissement et de médiation, ainsi que les créations radiophoniques de France Culture.

Notons avec plaisir l’augmentation du nombre de représentations et de billets disponibles à la vente (+12 000 par rapport à l’année dernière), ainsi que l’anticipation de deux mois de l’ouverture de la billetterie.

Une édition du festival qui s’annonce comme un événement incontournable de la scène culturelle internationale.

Festival d’Avignon
Avignon et son agglomération
Du mardi 5 au mercredi 25 juillet 2023

Programmation complète : festival-avignon.com