Glacial, freudien

Maison De La DanseLa huitième édition du Festival interdisciplinaire Sens Dessus Dessous s’est ouverte ce lundi 9 mars avec deux spectacles à l’esthétique troublante : Pasionaria de la compagnie barcelonaise La Veronal à la Maison de la Danse et Lady Magma de Oona Doherty à l’Espace Camus de Bron


Depuis 2012 le Festival Sens Dessus Dessous enrichie la programmation de la région lyonnaise avec des spectacles pointus, créatifs et extrêmement contemporain. La jeune création côtoie, pendant une quinzaine de jours des noms désormais entrés dans l’univers de la grande danse. Chaque nouvelle édition apporte un vent de fraicheur et d’espoir et les noms tels que Maguy Marin, Nacera Belaza, Dimitris Papaioannou, Noé Soulier, Serge Aimé Coulibaly et Peeping Tom sont aujourd’hui chéris du public de la région. Conçu par Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la danse, depuis son arrivée en 2012 comme « un trait d’union artistique entre deux éditions de la Biennale de la danse »  ce festival fête sa huitième année avec une panoplie de chorégraphes et d’expériences à découvrir (dj set, courts-métrages d’art, blindtests déjantés et expériences VR).

Notre découverte commence le lundi 9 mars à la Maison de la danse avec Pasionaria, pièce de 2018 de la compagnie barcelonaise La Veronal de Marcos Morau. La grande scène s’offre au public à travers un encadrement minimaliste et glacial. Mais plus qu’un cadre, cette ligne semble plutôt appartenir à une logique politique et territoriale où le signe marque une frontière de droit et de sens. Un encadrement qui appelle l’espace sacré, le lieu que les devins avaient choisi comme apte à accueillir une structure religieuse grâce à la lecture du vol des oiseaux. Un lieu député à accueillir les personnes sacrées : mais ici c’est justement cette stricte particularité qui pose problème. La « sacerté », c’est, par opposition au sacré positif, ce qui en absorbe aussi les aspects négatifs et l’homo sacer, comme nous l’a décrit le philosophe italien Giorgio Agamben, n’est pas l’individu pourvu d’un statut d’intouchable mais bien celui n’étant plus soumis au droit ordinaire de l’État. Il ne s’agit pas d’un « surplus » mais d’un enlèvement du droit : la sacerté est le geste d’un adoubement par soustraction. De quel droit sont donc dépourvu ces huit individus s’agissant dans cette espace ?

Est-il le droit civil étatique ? Ou bien le droit à la vie ? Non, dans cet espace sacré, ce dont on a imposé la disparition est le propre ineffaçable de l’être humain, les pathémata. Les figures qui s’agitent sur scène affichent un insupportable côté machinale, comme si toute vie avait été réquisitionnée pour en faire un monde de marionnettes ou de robots. L’histoire devient immédiatement anecdotique et la surface esthétique léchée et parfaite forme une barrière infranchissable qui embrigade toute expérience d’approfondissement intellectuel et visuel. La tridimensionnalité si claire que la scène montre semble plutôt être la tentative de la percé vers la troisième dimension d’un tableau en trompe-l’œil. Le travail visuel se situe dans une volonté anesthésique où les passions propres à l’être humain sont bannies et ce qu’il reste de cette vie se déroule devant nos yeux provocant un refus d’acceptation. Mais dans ce monde théoriquement parfait, quelque chose échoue, insinuant une germe qui fera sauter l’ordre général. Dans la tentative d’effacement des passions et des émotions, un résidu perdure malgré tout. Ce résidu est la vie naissant, le bébé qui revient et se multiplie, passant dans les bras glacées de tous les personnages-robots. Un résidu lumineux coupant la scène avec ses faisceaux éblouissants.

L’histoire que nous avions considéré comme anecdotique subit un ébranlement. Dans cette étrangéité inquiétante un espoir vital résiste. Pourtant, le bébé est la seule véritable poupée de tout cet univers tandis que les êtres humains ont subi un modélisation radicale arrachant leur humanité. De la grande fenêtre se trouvant au fond de la pièce surgissent d’abord la nature terrestre, puis le ciel et enfin des terres d’autres planètes, dans un crescendo menaçant qui semble ne jamais atteindre son climax. Les surfaces des planètes montrent avoir un « visage », une face visible sur laquelle l’inconscient des personnages prend forme. Comme dans Solaris de Tarkovski, les planètes affichent et réalisent les désirs de ceux qui se trouvent sur cette maison-station spatiale et c’est peut-être dans cela que nous devons rechercher le résidu qui n’a pas été mécanisé. Dans le monde inquiétant des robots déshumanisés, l’inconscient et le bébé représentent les deux polarité d’une humanité ancienne, terrestre, freudienne.

Pasionaria possède les allures d’un jeu à énigme qui échoue et désire mais sans pouvoir jamais se transformer. Le reste empirique coincé dans un mécanisme assourdissant devient le signe d’une condamnation à la compulsion de répétition dans une historicité tremblante.

Le spectacle a lieu :
Maison de la danse
8 Avenue Jean Mermoz – Lyon
lundi 9 et mardi 10 mars 2020

dans le cadre du
Festival Sens Dessus Dessous
du lundi 9 au mercredi 25 mars 2020
à la Maison de la danse de Lyon, à l’Espace Albert Camus à Bron et à Bonlieu – Scène Nationale d’Annecy

La Maison de la danse a présenté :
Pasionaria
de La Veronal
2018
idée et direction artistique Marcos Morau
chorégraphie Marcos Morau en collaboration avec les danseurs
assistante chorégraphe Lorena Nogal
conseil artistique et dramaturgique Roberto Fratini, Celso Giménez
scénographie Max Glaenzel
création costumes Silvia Delagneau
création sonore Juan Cristóbal Saavedra
conception vidéo Joan Rodon, Esterina Zarrillo
création lumière Bernat Jansà
crédit photographique Alex Font
coproduction Teatros del Canal (Madrid) ; Chaillot -Théâtre national de la Danse, Paris ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Sadler’s Wells, London ; Tanz im August/ HAU Hebbel am Ufer, Berlin ; Grec 2018 Festival de Barcelona – Institut de Cultura Ajuntament de Barcelona ; Oriente Occidente Dance Festival, Rovereto, Italie ; Mercat de les Flors, Barcelona. Avec la collaboration de El Graner Centre de Creació, Barcelona. Avec le soutien de INAEM – Ministerio de Cultura y Deporte de España and ICEC – Departament de Cultura de la Generalitat de Catalunya

www.maisondeladanse.com