L’articulation d’un mouvement syncrétique

Maison De La Danse

Ineffable, le dernier solo de Jann Gallois, fait escale à Lyon et conquiert le public de la Maison de la danse grâce à un syncrétisme raffiné et fascinant.

Le titre du dernier opus de Jann Gallois se révèle particulièrement significatif et en dit long sur une œuvre qui interroge le mot et son rapport toujours difficile à la traduction et à la vérité des corps. “Ineffable”. Dès cette annonce, on perçoit la volonté de la danseuse et chorégraphe parisienne de franchir le geste artistique en assumant le drame de l’art. Ineffable est l’œuvre artistique qui résiste à la verbalisation, à la description, à l’ekphrasis. Ineffable, c’est aussi ce qui, par nature, dans sa fragilité, n’atteint pas la vocalité, l’expression extériorisée d’un mouvement et d’un questionnement intérieurs. L’œuvre solo de Jann Gallois maintient ces deux aspects qui se tissent en filigrane dans son art et d’un mouvement projeté à la rencontre de formes et de langages différents.

L’ouverture de la performance accueille le spectateur dans un univers sonore profondément intime. La scène apparaît compartimentée en zones bien définies, organisées autour d’un pivot central où les tambours taiko japonais canalisent les regards et les tensions énergétiques. Jann Gallois est seule sur scène et chacun de ses mouvements semble être une prise de position dans le monde par une étude minutieuse des gestes, où l’austère économie orientale rencontre le mouvement libérateur occidental. Paraphrasant une célèbre maxime du chef d’orchestre Riccardo Muti, nous pourrions affirmer que dans cette œuvre, la séquence logique semble être la suivante : d’abord la musique, puis la danse. Ineffable apparaît comme un moment de compassion et de syncrétisme artistique et spirituel, qui procède par glissements, transitions, créations surprenantes de communication entre différents aspects culturels et cultuels. Cette porosité entre les cultures se produit à travers des croisements lumineux, des moments cathartiques qui, en se frôlant, produisent un phénomène lumineux, comme une apparition qui peut couper le souffle. Épiphanies.

Le sentiment de méditation d’origine bouddhiste s’incarne dans des sonorités absolues à travers bois, cuivres et percussions que Jann Gallois conçoit en direct sur scène, construisant une nappe sonore qui constitue finalement un seul et même instrument. L’introït se révèle un passage obligé pour entraîner le spectateur dans un long mouvement multiforme : de l’Orient à la musique électronique, l’artiste crée les prodromes signifiant l’urgence d’une communication, même si celle-ci se révèle totalement dépourvue de l’articulation verbale. Ce n’est que plus tard que Jann Gallois ouvre le discours du mouvement dansé, par des gestes corporels qui libèrent totalement la tension. La libération se produit dans la diffusion spatiale des émotions absorbées lors de l’introduction solennelle et agit comme une œuvre d’art heideggérienne, capable de se spatialiser et de créer son propre lieu.

La quête spirituelle crée une crase nécessaire entre les créations sonores de Nu, Taufiq Qureshi, Alexander Sheremetiev, Arvo Pärt, Beethoven, Yom, Philippe Hersant et Jann Gallois elle-même, qui, par juxtaposition, marquent la transition d’une scène à l’autre. Le chorégraphe français n’entend pas établir de hiérarchie des valeurs et des époques, et ce n’est que de ce nivellement des valeurs que peut germer un véritable acte d’amour.

Les gestes manuels et corporels en sont un aspect essentiel et constituent également un point de rencontre entre l’Orient et l’Occident, la tradition et l’innovation, le rituel et l’expression. Les mudras se retrouvent ainsi dans le tutting. Le “yoga des mains”, si riche en symboles, est ainsi entrelacé et détourné vers une forme de langage issu du monde de la musique hip hop. Ce téléscopage se résout en une corrélation son-geste qui apparaît comme particulièrement organique.

Ineffable est une œuvre numineuse, qui doit être vécue dans la plénitude de son exécution et dans sa réticence à l’articulation du logos.

Le spectacle a eu lieu :
Maison de la danse
8 avenue Jean Mermoz – Lyon
vendredi 3 mars 2023
dans le cadre du Festival Sens Dessus Dessous

La Maison de la danse a présenté :
Ineffable
de Jann Gallois
2021
chorégraphie, scénographie, costume et interprétation Jann Gallois
musiques Jann Gallois, Nu, Taufiq Qureshi, Alexander Sheremetiev, Arvo Pärt, Ludwig van Beethoven, Yom, Philippe Hersant
lumières Cyril Mulon
ingénieur son Léo David
réalisation scénographie Nicolas Picot, Cédric Bach – CEN Construction
regard complice Frédéric Le Van
crédit photographique Nathalie Seternalski

production Cie BurnOut. Coproduction Festival Montpellier Danse ; Chaillot – Théâtre national de la Danse ; Théâtre Paul Eluard (TPE) de Bezons, scène conventionnée d’intérêt national Art et Création–danse ; Théâtre du Beauvaisis, Scène Nationale ; Culture Commune, Scène Nationale du bassin minier du Pas-de-Calais ; La Filature, Scène Nationale de Mulhouse ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale ; Châteauvallon-Liberté, scène nationale ; L’Onde Théâtre centre d’art  ; Théâtre de Chatillon ; Scène Nationale du Sud-Aquitain ; Mission danse de Saint-Quentin-en-Yvelines. Résidence artistique à la Chapelle Sainte-Marie / Cie La Baraka – Abou & Nawal Lagraa ; Théâtre de la Vignette – Montpellier. Jann Gallois | Cie Burnout reçoit le soutien de la DRAC Île-de-France au titre de l’aide à la structuration – Ministère de la Culture, de la Région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle ainsi que de la Fondation BNP  PARIBAS.

Jann Gallois / Compagnie BurnOut reçoit le soutien de la Fondation BNP Paribas pour le développement de ses projets.

durée 1h20

maisondeladanse.com
www.cieburnout.com